Quantcast
Channel: Maghreb
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

La bataille pour l'Islam

$
0
0
Avec plus de 1,6 milliard de fidèles, un tiers d'entre eux vivant en minorité, l'Islam est une force majeure dans le monde d'aujourd'hui.

Facteur actif dans les relations internationales, son influence est loin d'être locale ou confinée aux pays et aux communautés classées comme "musulmanes".

Avec la présence de musulmans dans les capitales occidentales et la diffusion rapide des médias de masse, l'Islam est devenu un sujet mondialisé, quoique largement consulté à travers le prisme de la sécurité et du renseignement.

Entre la montée d'Al-Qaïda, d'ISIS et d'autres groupes terroristes, l'Islam est devenu de plus en plus perçu en Europe et aux Etats-Unis comme un générateur de crises et une menace pour la stabilité et la sécurité mondiale.

En dépit du déluge d'images et de récits de l'Islam qui ont inondé l'espace public depuis le 11 septembre, la connaissance et la compréhension du sujet reste limitée. Peu de gens connaissent l'énorme diversité du monde musulman et de ses sociétés, au niveaux des écoles de pensées, des interprétations religieuses, ou du pluralisme sectaire.

Moins de personnes encore se rendent compte qu'il n'existe pas d'Islam uniforme, mais des tendances divergentes encouragées et favorisées par les climats politiques généraux où les différentes communautés musulmanes arrivent à se trouver.

Ce sont ces conditions qui définissent la forme de l'Islam qui gagne la prévalence dans un contexte historique donné. Comme tout autre grande religion, l'Islam a été dans son passé, et continue de l'être dans le présent, l'objet de multiples stratégies d'interprétation. En termes généraux, nous pouvons parler de trois tendances dominantes qui sont en concurrence dans les coeurs et les esprits musulmans à travers le monde aujourd'hui.

La première est théocratique, au service des dirigeants absolutistes. Pour eux, l'Islam est un moyen d'acquérir une autorité de facto arrachée par la force de l'épée et la succession héréditaire, au dessus de tous les contrôles et les contraintes, et libre de toute responsabilité.

Cet Islam est armé avec son propre réseau d'institutions, de fonds et de fonctionnaires. L'essence de la religion comme une expérience spirituelle authentique n'est pas pertinente ici. Ce qui importe, ce sont les rituels et les formes extérieures de religiosité comme source de légitimité du pouvoir.

La religion est un simple serviteur obéissant et serviable du souverain, de ses intérêts et de ses caprices. Dans la péninsule arabique, un Wahhabiste appelé à gouverner par l'épée représente la réalisation la plus claire de cette forme d'Islam.

Ses partisans sont aussi désireux de présenter les aspects ritualiste et formaliste de l'Islam d'une manière grossièrement interventionniste, telle que l'imposition de la prière, la ségrégation des hommes et des femmes et l'application du port du niqab.

Ils sont pour le fait de garder l'Islam à distance de la politique et des domaines du pouvoir et de l'autorité. Dès que ces tabous sont touchés, l'institution religieuse, avec ses gardiens de l'armée sacrée comprenant des universitaires officiels, de membres du clergé et des prédicateurs, les ressorts en action, dénoncent les coupables comme déviants et peu orthodoxes, pour fournir ainsi une couverture religieuse pour justifier la mise à silence, l'oppression et l'élimination de ces derniers.

La deuxième stratégie est aussi moralement absolutiste, dogmatique, légaliste et exclusive que la première mais forme un type de politique différent.

Ceci est une forme d'anarchisme Wahhabiste. Il se nourrit de climats de crise, de guerres et de conflits qui font rage dans les pays musulmans et il cherche une source de justification de la perpétration de la violence et de la terreur dans la théologie de l'Islam.

Ce courant minoritaire avait été isolé en Kandahar et dans les lointaines montagnes de Tora Bora. Mais les invasions militaires de l'Afghanistan et de l'Irak et le cercle grandissant des conflits politiques, sectaires et ethniques l'a renforcé et lui a permis d'entrer en résonance avec les secteurs en croissance de jeunes musulmans en colère, anxieux et désabusés. Le réveil arabe, qui a donné aux gens de la région l'espoir d'une possibilité d'un changement politique pacifique, avait porté un coup puissant à cette tendance.

Mais comme ses grandes aspirations ont été écrasées sous la botte des généraux en Egypte, brûlées dans le four de guerres civiles en Libye, et se sont noyées dans le sang de la Syrie, ce violent courant anarchiste a gagné un nouvel élan et a grimpé au premier plan, une fois de plus.

Pour tout son bruit et l'énorme exposition qu'il reçoit, il ne parvient cependant toujours pas à inspirer la légitimité religieuse ou l'acceptation dans les yeux de la plupart des musulmans, qui l'excluent encore comme quelque chose étant religieusement déviant et politiquement contre-productif, dommageable pour l'image de l'Islam et la stabilité des sociétés musulmanes.

La présence des ces groupes extrémistes et l'étendue de leur influence dépendent dans une large mesure des climats politiques généraux qui prévalent dans le monde musulman. Malheureusement, ces conditions, en particulier celles régnant dans l'hémisphère arabe, ne montrent aucun signe de réhabilitation ou de stabilisation.

Ces deux tendances sont à couteaux tirés avec l'Islam démocratique moderniste, dont les racines se trouvent dans le mouvement de réforme islamique du 19ème siècle, fondé par Sayyid Jamāl Al-Dīn Asad Abadii et Mohamed Abdu, qui tourne autour de la notion de comptabilité entre, d'une part, l'islamisme spirituel et les valeurs religieuses et, de l'autre, ce qu'il décrit comme "les conditions requises" des temps modernes. Il s'agit notamment d'imposer des contrôles et des contrepoids au pouvoir, de l'adoption de mécanismes et de procédures démocratiques, et de l'émancipation de l'Islam de ce que les partisans de cette école réformiste décrivent comme "la prison de stagnation et de l'imitation."

Avec l'avènement de la modernisation, l'urbanisation et l'éducation de masse, ce courant a amassé une influence considérable dans les sociétés musulmanes (et plus tard parmi les minorités musulmanes). Aujourd'hui, celui-ci est sous la pression de plusieurs côtés. L'un d'eux est le camp théocratique, qui considère la présence même d'un Islam qui appelle à des restrictions sur l'autorité des gouvernants et le respect de la volonté du peuple, exprimée à travers la démocratie électorale, comme une menace directe pour son existence. Cela explique la guerre incessante menée par certains pays du Golfe sur la vague du changement démocratique dans le monde arabe depuis les trois dernières années.

Parallèlement aux pressions des théocraties arabes, l'Islam démocratique est contesté par les djihadistes salafistes, qui le rejettent en le considérant comme "dilué", "doux" et "naïf", épinglant ses espoirs sur des manifestations pacifiques et des urnes, qui, contrairement à la lutte armée, ne mènent nulle part.

Et au-delà du paysage musulman, ce label de l'Islam est considérée avec méfiance par beaucoup dans les cercles de décision américains et à travers l'Atlantique. Au nom du réalisme et du pragmatisme, ils préfèrent avoir à traiter avec des dirigeants qui, si autoritaires et impitoyables avec leurs masses soient-ils, sont souples et prêts à laisser leurs marchés grand ouverts pour les biens euro-américains et de gaspiller des milliards dans les ressources de leur pays sur des armes que personnes ne voudrait acheter. Ils sont, par conséquent, infiniment préférable aux dirigeants élus qui sont liés par la volonté et les intérêts de leurs peuples.

Ceux qui appellent à la réforme et la démocratisation de l'Islam semblent manquer un fait essentiel: l'Islam réformiste démocratique existe depuis le 19ème siècle. Il a son propre corps littérale, ses pionniers et penseurs, à la fois dans l'Islam sunnite et chiite. La question est: Est-ce que la situation de la société musulmane actuelle, marquée par la crise, les tensions, les interventions étrangères et le despotisme politique, favorise la réforme de l'Islam démocratique, ou est-ce qu'elle promeut ses violents et théocratiques rivaux?

Plutôt que de passer au crible les textes religieux des musulmans, les tracts théologiques et les polémiques de conflits médiévaux, ceux qui angoissent à propos du "problème" de l'Islam ferait bien de réfléchir à la réalité concrète des musulmans réels et vivants, et à chercher à la réparer plutôt que de s'efforcer à réparer l'Islam.

Ce blog, publié à l'origine sur Le Huffington Post Etats-Unis, a été traduit de l'anglais au français.


Retrouvez les articles du HuffPost Tunisie sur notre page Facebook.

Retrouvez les articles du HuffPost Maghreb sur notre page Facebook.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>