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Félicitations cher(e) futur(e) Ministre de la Culture

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Tout d'abord, je tiens à vous féliciter pour ce futur poste de ministre que vous avez amplement mérité et si je le fais avant que votre nom ne soit connu, c'est pour éviter d'être taxé de flagornerie et pour me démarquer de la foule de sympathisants à venir.

Je le fais aussi avant que vous ne soyez débordé et j'espère que vous prendrez le temps de lire ces quelques humbles réflexions et idées sur la place de la Culture dans la construction d'un état démocratique et moderne en Tunisie.

Depuis la Révolution de Janvier 2014 et avec le chaos qui s'en ait suivi, la Tunisie doit faire face à une série de défis qui au vu de la situation actuelle peuvent sembler insurmontables.

Ces défis sont d'ordre politique, économique, social et sécuritaire. Mais un défi aura des incidences à long terme sur le type de pays que nous voulons. Il s'agit du défi culturel.

23 ans de Benalisme ont crée un désert culturel dont nous ne finissons pas de cartographier les confins. Rajoutez à cela, 3 ans de Troïka où la volonté décomplexée d'annihiler toutes formes de culture progressiste ne se cachait même pas et vous avez la raison principale, avec la misère économique et sociale, du succès de l'hyper conservatisme, du terrorisme et du jihadisme qui gangrène aujourd'hui les couches les plus défavorisées de la société tunisienne.

Mais avons-nous le temps et le luxe de lancer une énième consultation sur la culture en Tunisie, selon des modèles éculés et pseudo-démocratiques, ou l'on demande à tout le monde son avis, y compris à ceux qui n'ont en pas ? Refaire appel aux mêmes personnes qui des années durant ont contribué au nivellement par le bas de la culture en Tunisie, peut-il ramener un regard nouveau et des solutions créatives ? Comment mettre en place une véritable politique culturelle enrichissante sans la confondre avec les intérêts corporatistes et les doléances sociales des uns et des autres ?
Comment repenser la scène culturelle et artistique tunisienne en regardant vers le futur et en partant du principe que de la quantité sortira forcément la qualité et surtout en y incluant les nouvelles générations ?

Il y a quelques années, un attaché culturel de l'ambassade des USA me faisait la réflexion que nous avions deux saisons culturelles en Tunisie. L'été qui est la saison des inondations artistiques et le reste de l'année qui est une véritable sécheresse.

Etre créatif ne veut pas forcément dire redémarrer tout à zéro. C'est d'ailleurs le véritable drame des politiques culturelles (et autres) en Tunisie. De plus, ce n'est pas à l'état d'être créatif. Quand on a fait le choix de la libre entreprise, l'état ne peut qu'être régulateur et facilitateur. C'est son devoir et son obligation car il gère l'argent du contribuable.

A l'indépendance, les artistes et les intellectuels ont largement contribué à construire la scène culturelle du pays. A la fin des années Bourguiba et toute la période Ben Ali, ces mêmes artistes et intellectuels se sont retrouvés par la force des choses dans un mode de résistance par leur création et face aux contraintes auxquelles ils devaient faire face.

Aujourd'hui, il existe en Tunisie, grâce à la liberté retrouvée, une véritable scène culturelle riche, intelligente et variée, avec des courants artistiques similaires à ce que fut « La Movida » dans l'Espagne post-Franquiste.

Vous me direz qu'on ne la voit pas beaucoup. Pourtant, elle existe et elle est particulièrement créative et foisonnante. Mais elle existe surtout à un niveau local, micro et une politique rationnelle la mènera au niveau national et macro qui lui donnera la visibilité d'ensemble. Lui permettre d'éclore, de se développer et de se stabiliser ne pourra que la mener après à l'exportation.

Et je ne parle pas de la « Culture étatique et administrative » du ministère de tutelle qui ne fait que distribuer de la façon la plus « juste » possible son budget, en essayant de faire plaisir à la majorité, tout en ménageant les susceptibilités de la minorité.

La Tunisie a un très gros avantage par rapport à d'autres pays. Cet avantage est sa taille réduite, même si les politiques ont tendance à y voir un handicap.

Ce facteur taille est une véritable aubaine pour un pays ou le seul véritable consensus qui est sorti de notre nouvelle constitution est le choix de la décentralisation.

Cela veut dire que si l'on trouve les bons mécanismes pour l'encouragement et le développement des capacités créatives locales, il sera très facile de les faire voyager sur tout le territoire et avoir ainsi une production nationale, quantitativement parlant, et tout le monde pourra en profiter. Surtout lors de la saison de « sécheresse ».

Où démarrer et selon quelle stratégie?

Deux axes de travail devront être mis en place :

  • Identifier et répertorier tous les acteurs professionnels et semi-professionnels de la création en Tunisie, discipline par discipline, production par production, lieu par lieu et territoire par territoire afin d'aboutir à une cartographie de la culture et des arts en Tunisie.

  • Faire appel aux véritables professionnels de la culture et des arts en Tunisie afin de lancer des Etats Généraux de la Culture. Loin des messes d'allégeance à la Ben Ali, cet exercice devra être confié à des personnes qui ont fait leurs preuves de succès grâce à leurs productions, aux espaces culturels qu'ils gèrent, aux évènements qu'ils ont organisés à plus d'une reprise et à leurs CV fournis, aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger. Ils devront travailler en étroite collaboration avec des spécialistes non artistes de la gestion culturelle, tunisiens et même étrangers.


Ils devront surtout travailler comme de véritables technocrates, en toute indépendance et sans allégeance aux partis politiques. Savoir qu'ils ont le soutien de plusieurs partis politiques en étant à l'abri de toute partialité ne pourra que les encourager et donner une valeur ajoutée aux résultats de leurs travaux. Cela servira surtout à mettre à l'abri des dissensions et des surenchères politiques les choix qu'ils proposeront.

Des réflexions sur le sujet existent et ont été menées à un état très avancé par de « grosses pointures » dans toutes les disciplines artistiques : Théâtre, cinéma, danse, musique, arts plastiques, poésie, édition, arts du cirque, photographie, création audio-visuelle, arts de la rue, créations numériques, urbanisme culturel.

Maintenant cher(e) futur(e) Ministre de la Culture, il ne tient qu'à vous de demander conseil à ce vivier de travailleurs de la culture, sans passer par votre futur chef de cabinet et par mesdames et messieurs les directeurs de vos différents départements dont la plupart sont à quelques années d'une retraite bien méritée.

Je vous souhaite tout le succès du monde afin que vous puissiez marquer de votre empreinte votre passage au ministère de la culture. Et si certains jours, les choses devenaient un peu difficiles et qu'un coup de Blues songeait à taquiner votre enthousiasme légendaire, rassurez-vous en vous disant que les artistes et les professionnels de la culture tunisiens, les vrais, travaillent et continueront à travailler, même en l'absence d'un ministère de tutelle. Au pire des cas et pour vous remonter le moral, vous pourrez toujours venir admirer une exposition photos de retour de Tokyo ou assister à une création théâtrale qui a fait l'unanimité de la critique en Avignon, a moins que ce ne soit l'avant-première d'un film  sélectionné dans un grand festival du monde.

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