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La justice transitionnelle en Tunisie, enseignements et perspectives (partie 1)

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Depuis janvier 2011, la Tunisie a entrepris plusieurs initiatives de justice transitionnelle.

Une commission nationale d'investigation (CNI), a été créée en février 2011, chargée de faire la vérité sur les violations graves des droits de l'homme depuis le début de la révolution (17 décembre 2010). Elle a remis son rapport en mai 2012 après avoir recueilli les témoignages filmés des victimes et/ou de leur famille, établi les responsabilités institutionnelles ainsi que le nombre et la liste des blessés et morts durant cette période. En même temps, une loi générale d'amnistie a été promulguée.

Ces mesures dissociées et ponctuelles, couvrant des périodes précises ont conduit à l'établissement de catégories de victimes, à diviser la société, à politiser la justice transitionnelle et à susciter colère et protestation des victimes (oublis, abus et non versement des réparations).

Axées sur les réparations, elles ont occulté le volet recherche de la vérité, notamment en raison de l'absence de diffusion auprès du public du rapport de la CNI. Et la loi d'amnistie est vite apparue comme étant le modèle des mesures d'amnistie sans discernement. Plusieurs de ses bénéficiaires appartenaient, en effet, à une organisation (Ansar al-Charia) aujourd'hui classée comme terroriste.

Parallèlement, peu de progrès ont été faits en matière de reddition des comptes et de garantie de non répétition. Les procès des hauts-dignitaires de l'ancien régime, portés devant les tribunaux militaires n'ont ni permis de faire la vérité en remontant la chaine des commandements, ni contribué à mettre fin à l'impunité. Quant aux réformes structurelles garantissant l'indépendance de la justice et l'instauration d'une sureté républicaine, elles se font encore attendre.

L'inscription de la justice transitionnelle dans un processus global vient néanmoins de se faire avec la promulgation en décembre 2013 d'une loi relative à la justice transitionnelle. Elle crée une commission vérité, l'Instance de la Vérité et de la Dignité dont les membres viennent d'être nommés, mais dont on peut se demander si elle sera à la mesure des lourdes charges qui lui sont attribuées (I). Quant à la question de la reddition des comptes quoique envisagée avec la création de chambres spécialisées au sein des tribunaux de l'ordre judiciaire, elle laisse plusieurs questions en suspens (II)

L'instance de la vérité et de la dignité

L'instance a un pouvoir large, couvrant une période, longue, trop longue, allant du 1er juillet 1955 au 24 décembre 2013 (date de la promulgation de la loi) et des compétences étendues, trop étendues.

A ses pouvoirs d'enquêtes s'ajoute une mission d'arbitrage et de réconciliation. A cet effet, il est créé une "commission d'arbitrage et de réconciliation en son sein". Sa saisine interrompt les délais de prescription. La conciliation n'empêche pas le jugement des auteurs des violations, sauf en matière de crimes économiques et de corruption financière, le règlement amiable éteint en effet, l'action publique et l'exécution de la peine.

L'instance a aussi le pouvoir d'établir un programme global, collectif et individuel de réparations pour les victimes définies comme étant toute personne morale ou physique ayant subi un dommage suite à une atteinte grave aux droits de l'homme. Sont intégrées leurs familles, mais aussi "toute personne ayant subi un préjudice lors de son intervention visant à aider la victime ou à empêcher son agression", comme les régions qui ont subi la marginalisation ou l'exclusion méthodique. A ce titre un "fonds de dignité et de réhabilitation des victimes de l'oppression" a été institué.

Enfin, l'Instance est chargée de faire des recommandations en matière de réformes politiques, administratives, économiques, sécuritaires et de "vetting" (criblage) administratif afin de prévenir la répétition des violations graves des droits de l'homme. Mais aussi elle peut recommander la révocation ou le licenciement de tout haut fonctionnaire de l'Etat qui aurait soit commis des violations graves, soit en aurait été complice. Pour ce faire, elle est chargée de créer un "Comité de l'examen de la fonction publique et de la réforme des institutions"

L'instance doit établir un rapport final à la fin de ses activités prévues pour 4 ans renouvelable une seule fois pour une année (5 ans maximum) et un rapport annuel d'activité.

Les membres de l'instance sont au nombre de 15 et ils sont d'ores et déjà contestés. Choisis par l'ANC, un organe politique, il est reproché à celle-ci d'avoir favorisé les candidats du parti dominant (Ennahdha).

La loi, votée après l'établissement d'un dialogue national que la société civile a estimé avoir privilégié les partisans du parti dominant, est tout autant contestée. Certaines violations, comme l'exil forcé ou la falsification des élections, non conformes aux standards internationaux, sont estimées favoriser une catégorie de victimes, les opposants islamistes à l'ancien régime. Pour ces raisons, plusieurs représentants de la société civile, associations de défense des droits de l'homme, associations féministes ou de défense des victimes et de leur famille, n'ont pas présenté de candidats à l'instance.

Enfin, son mandat est trop étendu (crimes économiques, corruption), son travail risque d'être d'autant plus lourd qu'il exige des compétences techniques (arbitrage) que les membres n'ont pas nécessairement et qu'elle est aussi chargée d'organiser un programme de réparations aux victimes. La notion de victime est définie de manière extensive, ce qui risque de poser des problèmes pour la réparation. Ne bénéficiant pas de la confiance nécessaire pour remplir son rôle, surchargée, la Commission Vérité risque de ne pas être en mesure de remplir un programme si ambitieux.

A suivre

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