SOCIÉTÉ - Le récent viol de la jeune fille dans le bus appelle une sérieuse remise en question de soi tant elle fait symptôme. Réjouissons-nous du débat qui a vu le jour et de la mobilisation citoyenne, en l'absence des voix populistes "en vacances" de pensée et de considération. Que le nom du Maroc soit désormais associé à celui du terrorisme et du viol devrait pourtant plus qu'alarmer les responsables politiques. Et qu'il ne s'agisse pas de la seule société musulmane à connaître une telle infamie pointe, une fois de plus, la source et la persistance du problème.
On sait (sans doute pas assez) les liens - déjà pressentis par les penseurs arabes du passé - entre misère sexuelle et violence. Les terroristes du 11 septembre ont passé les dernières heures de leur existence à visionner des films pornographiques. Les agressions commises à Cologne le soir de la Saint Sylvestre (pour partie commises par des Marocains se faisant passer pour des réfugiés politiques syriens) ainsi que les viols collectifs sur la place Tahrir en Egypte, pour ne citer que des cas médiatisés, auraient dû alerter sur la gravité et la récurrence de ces attentats. Pire, c'est à croire que ce crime est en voie de banalisation puisqu'en l'occurrence il n'a soulevé qu'indifférence et apathie chez les témoins du drame. Faut-il enfin rappeler qu'en 2011 un résident espagnol a écopé de 30 ans de prison ferme pour viols d'enfants ?
Comment en arrive-t-on là, dans une société qui par tradition a cultivé les valeurs de fraternité, de pudeur, et d'honneur, et qui s'est beaucoup "islamisée" au cours de ces dernières décennies? Comment expliquer non seulement l'agression elle-même dans sa particularité - envers une jeune handicapée de surcroît - mais la non-assistance des témoins?
On oublie trop souvent que la majorité de la population dans ce pays a moins de 20 ans. Ce qui est ici en question n'est donc pas le geste et le sort d'une catégorie très restreinte d'adolescents inéduqués, mais une condition générale par son extension et son intention en ses dimensions morale, économique, théologico-politique, pédagogique etc. En tirant ce fil, c'est tout l'écheveau social qui, en ces temps sensibles de transition, pourrait donner lieu à examen critique, avec ses noeuds et ses vulnérabilités psychiques, ses tensions, sa précarité. Désoeuvrés et désespérés, les "hittistes" pourrissent sur pied, à ruminer leur absence d'avenir, les yeux rivés sur le détroit de Gibraltar.
Si certains manifestent, on ne s'étonnera pas que d'autres deviennent des "vauriens": de "mauvais sujets qui ne valent rien" dans un monde où tout est marchandisé, et qui sont perçus - et se perçoivent eux-mêmes - comme tout juste bons à être jetés. De cela, qui est innommable, ils se vengent: rejoignent la Syrie et Daech, ou très trivialement se jettent comme des bêtes sur la première victime émissaire venue, la jeune fille ou la femme seule, qu'elle soit dévoilée ou voilée.
Plus que jamais, la question des femmes est la pierre de touche du politique, indice précis de démocratisation ou de régression. Du XXe siècle, on ne retiendra pour seule révolution irréversible que celle des femmes. Et ce qui est en cause à travers elles en terres d'islam, ce n'est pas seulement la moitié de la population, ce sont tous ceux qui se taisent mais ne se reconnaissent pas dans l'hégémonie et les valeurs machistes, dans le culte narcissique de la domination, dans les petites guerres et les probations permanentes des "surmâles", dans leur mépris du féminin, et les rapports de pouvoir qu'ils instillent continument.
Comme tous les populistes aujourd'hui (extrêmes droites française, grecque ou hongroise, partisans de Trump et de Poutine, fascistes serbes ou tchétchènes etc.) les islamistes, toutes tendances confondues, associent identité et moralité plutôt qu'identité et culture. En faisant de la condition des femmes leur cheval de bataille, ils spéculent sur la piété des masses, l'ignorance, la faiblesse d'hommes qui matraqués par leurs dirigeants ici, déboussolés plus loin, n'affirment plus leur virilité qu'à travers des schèmes patriarcaux, des imageries emphatiques et absurdes, une représentation négative de soi par laquelle ils se définissent non pas de manière affirmative et sereine mais essentiellement contre l'autre: l'Occident en bloc, le minoritaire qu'il soit homosexuel juif ou handicapé, la femme surtout, rabaissée et minorée par principe, stigmatisée dès lors que dévoilée, fragilisée à l'extrême à peine passé le seuil de sa maison.
Vous n'entendrez pas ces redresseurs de tort dénoncer la violence du néolibéralisme (auquel ils adhèrent) ou l'écart entre les classes sociales. Vous ne les entendrez pas davantage citer les grands maîtres de la spiritualité islamique: ceux qui comme Ghazali ou Ibn 'Arabi rangent au plus bas niveau de la croyance "l'islam du corps": un islam qui se montre et en remontre avec ses signes extérieurs de piété, et qui ignore l'expérience intérieure ou le travail sur soi. En revanche, comme le dit bien Ismael Zniber, ils sont passés maîtres dans le jugement d'autrui et la comptabilité obsessionnelle des péchés.
Etant essentiellement attachée à la question de la jouissance, la cause des femmes soulève pour les hommes aussi des contradictions massives dont ils doivent s'émanciper. Pour ne citer que l'une d'elle, comment peut-on d'un côté présenter de manière toute littérale la jouissance sexuelle comme l'avant-goût du paradis, l'acmé de la félicité terrestre et céleste et de l'autre, voiler la femme, l'interdire, la déprécier? Exalter d'une main et barrer de l'autre? Le voile sera arraché, piétiné, la chair lacérée.
Le temps de l'hypocrisie, des fausses convenances et de la moraline est dépassé; voici venu celui du passage à l'acte. Elle (ou une autre) l'aura mérité, diront-ils, une fois de plus. Il y a plusieurs façons d'en finir avec la religion: l'une par assèchement rationaliste et laïcisation radicale, l'autre par amalgame avec la politique et par bêtise. On ne peut écarter la possibilité que l'islam soit progressivement mis à mort par ceux là mêmes qui agissent en son nom. Moquant la Jenna hyperphallique et orgiaque de certains clercs, Ibn Rochd parlait de "jeu d'enfant". Et il y a encore peu, ce littéralisme de bas étage pouvait en effet sembler ridicule. Aujourd'hui, il est criminel de proférer de pareilles insanités et de déspiritualiser l'au-delà lorsque des jeunes par légions entières sont prêts à commettre des attentats-suicides pour rejoindre les houris.
Il est irresponsable de les laisser se faire endoctriner par des sermonnaires remplis de ressentiment et de haine sur les chaînes de télévision d'inspiration wahhabite ou salafiste. Il est pour le moins désolant que les tribunaux n'appliquent pas les avancées de la moudawana dont l'un des points est la condamnation du harcèlement sexuel. Il faut garder à l'esprit que la jeunesse d'un peuple est une ressource: il est possible de sortir de la passivité et des vieilles ornières, d'éduquer, de changer.
On sait (sans doute pas assez) les liens - déjà pressentis par les penseurs arabes du passé - entre misère sexuelle et violence. Les terroristes du 11 septembre ont passé les dernières heures de leur existence à visionner des films pornographiques. Les agressions commises à Cologne le soir de la Saint Sylvestre (pour partie commises par des Marocains se faisant passer pour des réfugiés politiques syriens) ainsi que les viols collectifs sur la place Tahrir en Egypte, pour ne citer que des cas médiatisés, auraient dû alerter sur la gravité et la récurrence de ces attentats. Pire, c'est à croire que ce crime est en voie de banalisation puisqu'en l'occurrence il n'a soulevé qu'indifférence et apathie chez les témoins du drame. Faut-il enfin rappeler qu'en 2011 un résident espagnol a écopé de 30 ans de prison ferme pour viols d'enfants ?
Comment en arrive-t-on là, dans une société qui par tradition a cultivé les valeurs de fraternité, de pudeur, et d'honneur, et qui s'est beaucoup "islamisée" au cours de ces dernières décennies? Comment expliquer non seulement l'agression elle-même dans sa particularité - envers une jeune handicapée de surcroît - mais la non-assistance des témoins?
On oublie trop souvent que la majorité de la population dans ce pays a moins de 20 ans. Ce qui est ici en question n'est donc pas le geste et le sort d'une catégorie très restreinte d'adolescents inéduqués, mais une condition générale par son extension et son intention en ses dimensions morale, économique, théologico-politique, pédagogique etc. En tirant ce fil, c'est tout l'écheveau social qui, en ces temps sensibles de transition, pourrait donner lieu à examen critique, avec ses noeuds et ses vulnérabilités psychiques, ses tensions, sa précarité. Désoeuvrés et désespérés, les "hittistes" pourrissent sur pied, à ruminer leur absence d'avenir, les yeux rivés sur le détroit de Gibraltar.
Si certains manifestent, on ne s'étonnera pas que d'autres deviennent des "vauriens": de "mauvais sujets qui ne valent rien" dans un monde où tout est marchandisé, et qui sont perçus - et se perçoivent eux-mêmes - comme tout juste bons à être jetés. De cela, qui est innommable, ils se vengent: rejoignent la Syrie et Daech, ou très trivialement se jettent comme des bêtes sur la première victime émissaire venue, la jeune fille ou la femme seule, qu'elle soit dévoilée ou voilée.
Plus que jamais, la question des femmes est la pierre de touche du politique, indice précis de démocratisation ou de régression. Du XXe siècle, on ne retiendra pour seule révolution irréversible que celle des femmes. Et ce qui est en cause à travers elles en terres d'islam, ce n'est pas seulement la moitié de la population, ce sont tous ceux qui se taisent mais ne se reconnaissent pas dans l'hégémonie et les valeurs machistes, dans le culte narcissique de la domination, dans les petites guerres et les probations permanentes des "surmâles", dans leur mépris du féminin, et les rapports de pouvoir qu'ils instillent continument.
Comme tous les populistes aujourd'hui (extrêmes droites française, grecque ou hongroise, partisans de Trump et de Poutine, fascistes serbes ou tchétchènes etc.) les islamistes, toutes tendances confondues, associent identité et moralité plutôt qu'identité et culture. En faisant de la condition des femmes leur cheval de bataille, ils spéculent sur la piété des masses, l'ignorance, la faiblesse d'hommes qui matraqués par leurs dirigeants ici, déboussolés plus loin, n'affirment plus leur virilité qu'à travers des schèmes patriarcaux, des imageries emphatiques et absurdes, une représentation négative de soi par laquelle ils se définissent non pas de manière affirmative et sereine mais essentiellement contre l'autre: l'Occident en bloc, le minoritaire qu'il soit homosexuel juif ou handicapé, la femme surtout, rabaissée et minorée par principe, stigmatisée dès lors que dévoilée, fragilisée à l'extrême à peine passé le seuil de sa maison.
Vous n'entendrez pas ces redresseurs de tort dénoncer la violence du néolibéralisme (auquel ils adhèrent) ou l'écart entre les classes sociales. Vous ne les entendrez pas davantage citer les grands maîtres de la spiritualité islamique: ceux qui comme Ghazali ou Ibn 'Arabi rangent au plus bas niveau de la croyance "l'islam du corps": un islam qui se montre et en remontre avec ses signes extérieurs de piété, et qui ignore l'expérience intérieure ou le travail sur soi. En revanche, comme le dit bien Ismael Zniber, ils sont passés maîtres dans le jugement d'autrui et la comptabilité obsessionnelle des péchés.
Etant essentiellement attachée à la question de la jouissance, la cause des femmes soulève pour les hommes aussi des contradictions massives dont ils doivent s'émanciper. Pour ne citer que l'une d'elle, comment peut-on d'un côté présenter de manière toute littérale la jouissance sexuelle comme l'avant-goût du paradis, l'acmé de la félicité terrestre et céleste et de l'autre, voiler la femme, l'interdire, la déprécier? Exalter d'une main et barrer de l'autre? Le voile sera arraché, piétiné, la chair lacérée.
Le temps de l'hypocrisie, des fausses convenances et de la moraline est dépassé; voici venu celui du passage à l'acte. Elle (ou une autre) l'aura mérité, diront-ils, une fois de plus. Il y a plusieurs façons d'en finir avec la religion: l'une par assèchement rationaliste et laïcisation radicale, l'autre par amalgame avec la politique et par bêtise. On ne peut écarter la possibilité que l'islam soit progressivement mis à mort par ceux là mêmes qui agissent en son nom. Moquant la Jenna hyperphallique et orgiaque de certains clercs, Ibn Rochd parlait de "jeu d'enfant". Et il y a encore peu, ce littéralisme de bas étage pouvait en effet sembler ridicule. Aujourd'hui, il est criminel de proférer de pareilles insanités et de déspiritualiser l'au-delà lorsque des jeunes par légions entières sont prêts à commettre des attentats-suicides pour rejoindre les houris.
Il est irresponsable de les laisser se faire endoctriner par des sermonnaires remplis de ressentiment et de haine sur les chaînes de télévision d'inspiration wahhabite ou salafiste. Il est pour le moins désolant que les tribunaux n'appliquent pas les avancées de la moudawana dont l'un des points est la condamnation du harcèlement sexuel. Il faut garder à l'esprit que la jeunesse d'un peuple est une ressource: il est possible de sortir de la passivité et des vieilles ornières, d'éduquer, de changer.
LIRE AUSSI DANS LES BLOGS:
- Pour suivre les dernières actualités en direct sur Le HuffPost Maroc, cliquez ici
- Chaque jour, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost Maroc
- Retrouvez-nous sur notre page Facebook
- Suivez notre fil Twitter