Le soir de l'élection de Donald Trump, Chuck Johnson, l'un des partisans les plus acharnés du milliardaire, déclarait qu'il s'agissait de la "victoire des trolls", et qu'ils avaient "fourré Trump dans le Bureau Ovale à coup de memes" ("we memed the President into the Oval Office"). Agitateur en chef de l'activisme pro-Trump en ligne, euphorique après un combat mené de main de maître, Johnson prêchait bien sûr pour sa paroisse. Mais sa réflexion dessinait, en creux, une nouvelle ère des rapports de force au sein du neo-régime de production du discours public.
Le monde journalistique américain n'a pas tardé à faire sa critique après le séisme de novembre. Les articles se sont succédé, de l'auto-flagellation acerbe à l'appel à une quasi entrée en résistance, en passant par la "découverte" de l'idiosyncrasie propre à la confrérie. On a pu lire dans les colonnes du New York Times, de Politico ou du Washington Post, sous la plume de journalistes "libéraux", des remarques contre la "caste" et sa scission d'avec le "pays réel", qui semblaient valider a posteriori les attaques classiques des différents extrêmes contre la profession.
Obnubilés par leur propre rôle dans le nouveau régime de formation et d'énonciation du discours commun, les journalistes se sont alors focalisés sur la défense de leur territoire. S'en sont suivis des débats casuistiques sur les fake-news, la filter bubble, le fact-checking ou la post-vérité, accompagnés de leur inévitable corollaire de paternalisme sur le mode "édification des masses" et "pédagogie".
Pourtant, c'est d'une mutation radicale des modalités mêmes du discours politiques qu'il s'agit, pas du combat éternel du vrai contre le faux, ni de la capacité de l'avant-garde éclairée à entraîner les masses. Le soir de son triomphe, Chuck Johnson déclarait ainsi que l'élection de novembre représentait la victoire "de la partie commentaires contre le corps de l'article". Si l'on suit les règles de modération de la plupart des journaux français, le Président élu des Etats-Unis d'Amérique ne serait même pas légitime (ni autorisé) à commenter le dernier papier du dernier pigiste de la section sport. Et de fait, Trump est un troll. Mais les trolls sont peut-être devenus mainstream...
Que cette section commentaires soit parfois un ramassis ordurier de propos incohérents n'aide pas à discerner la vérité de l'analyse de Johnson. D'autant que le phénomène est complexe. Si l'on devait risquer quelques hypothèses, il semble logique de relever d'abord qu'il s'agit d'un vaste chamboulement des hiérarchies, et plus précisément des asymétries. Les journalistes ont longtemps cru disposer du monopole de l'opinion, quand ils jouissaient en réalité uniquement du monopole de la diffusion de leur opinion. Ce monopole est tombé, et cette chute continue à produire ses conséquences.
D'autre part, il semble désormais clair que l'expression publique est marquée par une forme de radicalité, qui prend souvent la forme de propos violents ou véhéments, mais pas forcément. A cause de la charge de violence, nous rejetons souvent certains discours hors de la sphère du débat publique, en nous faisant croire d'ailleurs que ce sont simplement eux qui s'auto-excluent. Mais si l'on garde à l'esprit que toute violence se pense comme une contre-violence, il s'agit là d'une erreur. Il y aurait beaucoup à dire sur la place que nous accordons (ou refusons d'accorder) à la violence dans le débat. Autrement dit, notre préjugé consistant à dire que tout ce qui est excessif est insignifiant est probablement à suspendre. L'axiome est même en train de s'inverser, et en termes de communication, on pourra bientôt affirmer sans trop de risque de se tromper, que tout ce qui n'est pas radical est inaudible.
Dans les mots, comme dans les doctrines, c'est donc à une véritable extension du domaine du dicible que nous assistons aujourd'hui.
Le monde journalistique américain n'a pas tardé à faire sa critique après le séisme de novembre. Les articles se sont succédé, de l'auto-flagellation acerbe à l'appel à une quasi entrée en résistance, en passant par la "découverte" de l'idiosyncrasie propre à la confrérie. On a pu lire dans les colonnes du New York Times, de Politico ou du Washington Post, sous la plume de journalistes "libéraux", des remarques contre la "caste" et sa scission d'avec le "pays réel", qui semblaient valider a posteriori les attaques classiques des différents extrêmes contre la profession.
Obnubilés par leur propre rôle dans le nouveau régime de formation et d'énonciation du discours commun, les journalistes se sont alors focalisés sur la défense de leur territoire. S'en sont suivis des débats casuistiques sur les fake-news, la filter bubble, le fact-checking ou la post-vérité, accompagnés de leur inévitable corollaire de paternalisme sur le mode "édification des masses" et "pédagogie".
Pourtant, c'est d'une mutation radicale des modalités mêmes du discours politiques qu'il s'agit, pas du combat éternel du vrai contre le faux, ni de la capacité de l'avant-garde éclairée à entraîner les masses. Le soir de son triomphe, Chuck Johnson déclarait ainsi que l'élection de novembre représentait la victoire "de la partie commentaires contre le corps de l'article". Si l'on suit les règles de modération de la plupart des journaux français, le Président élu des Etats-Unis d'Amérique ne serait même pas légitime (ni autorisé) à commenter le dernier papier du dernier pigiste de la section sport. Et de fait, Trump est un troll. Mais les trolls sont peut-être devenus mainstream...
Que cette section commentaires soit parfois un ramassis ordurier de propos incohérents n'aide pas à discerner la vérité de l'analyse de Johnson. D'autant que le phénomène est complexe. Si l'on devait risquer quelques hypothèses, il semble logique de relever d'abord qu'il s'agit d'un vaste chamboulement des hiérarchies, et plus précisément des asymétries. Les journalistes ont longtemps cru disposer du monopole de l'opinion, quand ils jouissaient en réalité uniquement du monopole de la diffusion de leur opinion. Ce monopole est tombé, et cette chute continue à produire ses conséquences.
D'autre part, il semble désormais clair que l'expression publique est marquée par une forme de radicalité, qui prend souvent la forme de propos violents ou véhéments, mais pas forcément. A cause de la charge de violence, nous rejetons souvent certains discours hors de la sphère du débat publique, en nous faisant croire d'ailleurs que ce sont simplement eux qui s'auto-excluent. Mais si l'on garde à l'esprit que toute violence se pense comme une contre-violence, il s'agit là d'une erreur. Il y aurait beaucoup à dire sur la place que nous accordons (ou refusons d'accorder) à la violence dans le débat. Autrement dit, notre préjugé consistant à dire que tout ce qui est excessif est insignifiant est probablement à suspendre. L'axiome est même en train de s'inverser, et en termes de communication, on pourra bientôt affirmer sans trop de risque de se tromper, que tout ce qui n'est pas radical est inaudible.
Dans les mots, comme dans les doctrines, c'est donc à une véritable extension du domaine du dicible que nous assistons aujourd'hui.
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