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Le Concours d'entrée aux écoles d'ingénieurs : Une institution malade (2/3)

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Cette contribution fait partie d'une série de contributions de l'auteur. La première partie a déjà été publiée et la troisième partie sera publiée prochainement.


Le mythe des mauvaises notes au concours[1]


On a vu dans la première partie de l'article comment les responsables de l'épreuve de mathématiques ont cru bon répondre à une certaine problématique concernant les notes d'une épreuve donnée par une manipulation des barèmes et ce pour avoir de meilleures notes.

Il est vrai qu'une recherche des causes institutionnelles de ce qui est arrivé est nécessaire -ce qui sera fait par la suite-, mais arrêtons-nous un moment sur nos "responsables": Qu'est-ce qui les a déterminés à agir de la sorte?

La réponse est toute simple: Pour eux, les mauvaises notes sont une fatalité du fait de la faiblesse des candidats,c'est-à-dire que, dans leur for intérieur, les notes au concours ont une valeur intrinsèque et reflètent fidèlement le niveau des candidats.

Donc, résignés, la mort dans l'âme et probablement une larme à l'œil, la seule mesure qui leur restait était de masquer ces tares, peu importe la méthode. "Cachez ces mauvaises notes que je ne saurais voir !" aurait même clamé l'un d'entre eux!

L'objectif de cette partie sera donc triple. En premier lieu, casser ce mythe des mauvaises notes; non que je nie que les notes sont plus proches du zéro que du dix ou que j'affirme avec aplomb que tous les candidats sont excellents, mais j'essaierai de montrer que la corrélation entre ces deux phénomènes est loin d'être significative. Ensuite, chercher à analyser les vraies causes du tassement des notes qui a eu lieu au concours d'algèbre de l'année 2011 et plus généralement de la faiblesse des notes au concours. Enfin, essayer de proposer une solution qui réparerait les injustices sans pour autant prétendre guérir tous les maux.

Aussi inattendu que cela puisse paraître, ce faux problème des mauvaises notes a aussi des implications plus politiques: Des bruits ont couru disant qu'au sein du GEFI (Groupe d'Études sur les Formations d'Ingénieurs), certains représentants du secteur privé ont bloqué toute tentative d'insérer dans le rapport final toute référence au faible niveau des diplômés d'une grande part des institutions privées de formation d'ingénieurs. Ils auraient argué que celui des étudiants des classes préparatoires ne valait pas mieux en prenant pour indicateur les notes du concours[2].

En outre, tout le monde se rappelle la bataille menée l'année dernière par les élèves ingénieurs pour réformer le cahier des charges régissant les établissements d'enseignement supérieur privé, notamment les établissements d'ingénierie. On se rappelle aussi le feu nourri qu'a subi le ministre de l'Enseignement Supérieur et la motion de censure à laquelle il a failli faire face lorsqu'il a été question de publier le rapport rédigé par une commission chargée d'étudier la fiabilité de l'enseignement supérieur privé en Tunisie et d'en tirer les conséquences.

Une analyse des faits indique qu'il ne dût alors son salut et sa reconduction au sein de la nouvelle équipe gouvernementale qu'à une mise en sourdine du dossier:À croire que le rapport a disparu purement et simplement ou même que la commission chargée de le rédiger n'a jamais existé.

Depuis, on n'a plus jamais entendu parler d'enseignement supérieur privé dans les déclarations du ministre, dans les communiqués du ministère ou de ses publications en ligne.

1- Dépasser le mythe des mauvaises notes ou comment bien définir les objets étudiés: Qu'est-ce qu'une note?

Il s'agit donc ici d'essayer d'analyser objectivement et sereinement les origines d'une telle anomalie -supposée- dans les notes de certaines matières et plus généralement de la dite faiblesse des notes obtenues dans les concours d'entrée aux écoles d'ingénieurs. Plus en avant dans le texte, on tentera de présenter un remède scientifiquement fondé des effets négatifs inhérents à la nature même du concours et du degré de difficulté[3] des épreuves sur les notes.

On essaiera donc de montrer que c'est la nature même du concours qui entraîne de tels effets et que ce sont des faits objectifs qu'on retrouve pratiquement partout ailleurs, là où on sélectionne par un concours -réputé exigeant- des candidats -réputés excellents- parmi une population donnée.

a- Remarque préliminaire.

Pour la bonne compréhension de l'argumentaire qui va suivre, un fait doit être signalé; la représentation des notes d'une épreuve -pour peu que certaines bonnes conditions soient vérifiées- suivent une courbe dite de Gauss, la fameuse courbe en cloche.

Elle traduit tout simplement que la majorité de ceux qui ont passé l'épreuve ont une note qui tourne autour de la moyenne (moyenne des notes, s'entend), un petit nombre aura une note supérieure à la masse (les meilleurs) et les autres se situeront en dessous.

Suivant la difficulté de l'épreuve, la "cloche" se déplacera à gauche (pour un sujet réputé difficile-Voir figure A) ou à droite (pour les sujets plus abordables - Voir figure B[4]).


Figure A



Figure B



b- Distinction entre test de niveau et concours.

Dans un test de niveau, le sujet est construit de telle sorte que la note finale ait une valeur intrinsèque;une note de 10 sur 20 voudra dire que le candidat a un niveau moyen, une note de 15 exprimera que c'est un bon étudiant, une note de 19 nous informera que ledit étudiant est proche de l'excellence et un 2/20 qu'il est médiocre. Idéalement, la distribution des notes aura l'allure de la figure C.


Figure C



Par contre,dans un concours,c'est une logique de sélection qui prévaut; l'important dans un concours est le classement auquel il donne naissance, les notes ne sont donc qu'un moyen pour établir ces classements. Ceci explique que dans certains concours, on puisse trouver des admis avec une moyenne de 5/20 et dans d'autres des recalés avec 12/20 (Demandez aux candidats à l'agrégation, les exemples sont légion!).

Il faut donc chercher d'autres indicateurs du niveau des étudiants qu'uniquement les notes au concours. Au risque de choquer, dans une épreuve de concours, 6/20 peut être une bonne note!

L'incompréhension autour de ce point et des mauvaises notes au concours ramène donc, de fait, la difficulté relative des épreuves présentées à un atavisme dont on peine à retrouver la généalogie; on ne sait plus vraiment pourquoi les épreuves sont plutôt exigeantes et on se lamente systématiquement après coup à la lecture des notes!

Ce qui suit est une tentative pour lever le brouillard.

c- Zoologie des concours: De la nécessité d'une épreuve exigeante.

Suivant le concours, la sélection sera plus ou moins sévère: La logique d'un CAPES n'est pas la même que celle d'un concours d'agrégation alors que les candidats sont potentiellement les mêmes.

Le premier se donnera pour objectif de sélectionner ceux qui ont maîtrisé un minimum de notions, la sélection se faisant alors "par le bas" en éliminant les candidats les plus faibles. Le second se donnera pour objectif d'avoir les meilleurs et d'éliminer tous les autres, la sélection se faisant alors "par le haut".

Dans le cas d'espèce, le concours d'entrée aux écoles d'ingénieurs est un concours qui se doit de sélectionner ses lauréats parmi une population d'excellents candidats qui maîtrisent déjà, pour la quasi-totalité, un certain nombre de notions minimales et les techniques "de routine" enseignées dans les classes préparatoires.

Sachant l'existence d'une demi-douzaine de filières de pointe proposées aux étudiants et la concurrence acharnée pour les quelques trois cents premières places permettant d'y accéder, les épreuves du concours doivent donc présenter des niveaux de difficulté variés s'étalant sur un spectre assez large de questions allant des plus simples aux plus difficiles et mettant en valeur des thèmes étudiés durant toute l'année. En résumé: Des épreuves exigeantes!

Pour ceux qui ne seraient toujours pas convaincus par la nécessité d'avoir des épreuves exigeantes au concours, on pourra pousser la logique jusqu'à ses derniers retranchements et fabriquer un exemple de toutes pièces: Supposons que l'on ait à classer les 200 premiers admis dans les classes préparatoires en utilisant seulement leurs notes en mathématiques et en sciences physiques obtenues au bac, épreuve qu'ils ont dominée de la tête et des pieds ; l'écart entre le premier classé et le dernier ne dépassera pas le demi-point.


Figure D


La courbe obtenue serait proche de celle de la figure D. Sera-t-il donc possible, raisonnable voire juste d'établir une distinction entre les esprits géniaux, les excellents ou même les travailleurs acharnés alors que l'aléa dû à une distraction, si minime fût-elle, pourrait sanctionner un candidat d'une centaine de places!

Un sujet trop abordable n'offre donc pas les garanties nécessaires (via des questions nécessitant ici une grande intelligence ou là un bon savoir-faire acquis à force de travail) pour établir un classement fiable. C'est ce qui fait que, depuis que la préparation au concours existe, les épreuves sont notoirement difficiles!

2- Petite analyse de la situation - Ébauche d'une solution: L'écart-type comme variable d'ajustement.

À la lumière de ce qui précède, ce qui est arrivé lors de l'épreuve d'algèbre évoquée plus haut était un déplacement exagéré de la courbe vers la gauche avec une compression marquée des notes (Voir Figure E): En cause ici sont donc une baisse de la moyenne des notes et une compression de l'écart-type. L'écart-type est une mesure de la dispersion des notes autour de leur moyenne. Plus les notes sont étalées[5], plus l'écart-type est grand.


Figure E


Lorsque c'est un phénomène général à toutes les matières du concours (c'est-à-dire le tassement des notes), personne ne sera lésé et aucun effet ne sera ressenti.

Mais lorsque cela touche une matière donnée à l'exception des autres, l'effet sera de diminuer son coefficient réel et donc d'en atténuer l'effet sur le moyenne globale de chacun des candidats, aussi importante soit cette matière et aussi élevé soit son coefficient théorique. Les étudiants doués dans cette matière-ci seront donc lésés et l'avantage qu'ils auraient pu tirer de leur supériorité évaporé!

Ce qui cause l'injustice décrite ici est essentiellement le fait que l'écart entre les meilleurs et les plus faibles est très petit. En d'autres termes, il s'agit d'une compression de l'écart-type des notes obtenues. Ce n'est pas la "faiblesse" des notes qui est en cause: Augmenter toutes les notes de deux, cinq ou même dix points ne changera rien à ce que les écarts entre les meilleurs et les plus faibles est réduit.

Neuf fois sur dix, un lecteur ayant des notions solides en statistiques vous donnera la même solution à ce problème: Opérer une transformation linéaire (Du type [a*note] pour les profanes) sur les notes de chacune des épreuves pour aligner toutes les séries de notes des différentes épreuves sur un même écart-type[6]. Les plus esthètes pourront proposer une transformation affine (Du type [a*note+b] cette fois) pour que la répartition des notes de toutes les épreuves tourne autour d'une moyenne de 10/20[7]. De cette manière, les "bons" écarts[8] et les "bonnes" notes[9] sont rétablis.

Dans la troisième et dernière partie de l'article, on quittera le confort de l'analyse technique des faits pour une approche plus institutionnelle: On essaiera de voir ce qui a pu faire qu'une question technique aussi banale ait pu être traitée avec un tel dilettantisme avec, en arrière-plan, un mépris pour les structures et une culture de la gestion bureaucratique.


Notes:
[1] Cette deuxième partie de l'article étant la plus technique, on recommande encore une fois au lecteur de consulter l'article: Notation et coefficients. On rappelle qu'on y traite de l'effet des propriétés statistiques (Essentiellement l'écart-type) des notes des candidats à un concours dans une épreuve donnée sur le classement final de ceux-ci dans le concours.
[2] On peut aussi lire dans le rapport du GEFI le passage suivant en page 35: "Ces notes -Les notes au concours, NDA- sont préjudiciables à l'ensemble du système des classes préparatoires, à la crédibilité du concours, aux écoles d'ingénieurs, et à la majorité des élèves: Certes lauréats du concours mais handicapés pour longtemps par ces notes anormalement basses". C'est la seule référence au niveau des élèves ingénieurs tunisiens, aussi bien du privé que du public... Le rapport est disponible ici: Rapport du GEFI .
[3] Qui "échappe" même parfois au "poseur" du sujet!
[4] Devant composer avec le manque chronique de statistiques concernant les notes des concours, les figures sont obtenues à partir de simulations sur des échantillons de taille 10.000. Les figures sont des histogrammes ; la "hauteur" de chacun des rectangles représente le nombre de candidats dont les notes sont comprises dans l'intervalle de notes associé.
[5] Ou, de façon plus simple, plus l'écart est grand entre les bons étudiants et les plus faibles.
[6] qu'on aura choisi d'avance.
[7] Le risque étant ici d'avoir des notes négatives ou bien des notes supérieures à 20/20. Ce qui est, encore une fois, mathématiquement anecdotique vu que les nombres en question sont des quantités relatives.
[8] Au sens éthique du terme.
[9] Au sens esthétique, cette fois.

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