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Le corps des femmes, premier champ de bataille des guerres de 2014

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Quand on parle du droit des femmes dans le monde, on peut être tenté de le voir comme une destination: une ville immense et chatoyante vers laquelle on se dirige et où on espère, une fois arrivés, que les choses auront changé en notre faveur. Les habitants de cette ville, pense-t-on, vivent en parfaite harmonie, et les femmes ont le même statut économique, social et politique que les hommes. Pourtant, tel un mirage dans le désert, plus nous nous approchons de cette ville et plus elle semble inaccessible.

Pour les femmes, où qu'elles se trouvent, l'heure est grave. Aux Emirats Arabes Unis et dans les pays du Golfe, les employées de maison sont systématiquement maltraitées par leurs employeurs. Au Nigéria, les écolières de Bring Back Our Girls n'ont toujours pas été libérées, et Boko Haram continue à se livrer, en toute impunité, à des violences envers les filles et les femmes. En Inde, on apprend que les femmes souffrant de handicaps mentaux sont enfermées "comme des animaux" dans des établissements insalubres. En Afrique et au Moyen-Orient, les tests de virginité et les excisions sont monnaie courante. Aux Etats-Unis, les femmes n'osent toujours pas dénoncer les auteurs de violences sexuelles, et les électeurs du pays ont élu un gouvernement républicain qui semble déterminé à entraver les droits des femmes en matière de procréation.

Les choses n'étaient pas censées se passer ainsi, étant donné les espoirs que nous avions placés dans l'éducation, l'émancipation et l'autonomie financière des femmes. Certaines, et notamment Liz Ford pour The Guardian, estiment qu'un cadre législatif plus favorable et des "changements de comportements" ont fait avancer la cause des femmes depuis deux accords internationaux entrés en vigueur il y a vingt ans: la Conférence internationale sur la population et le développement, organisée au Caire, où 179 pays s'étaient engagés à œuvrer pour l'émancipation des femmes, et la 4e Conférence mondiale sur les femmes, qui s'était tenue à Beijing, où la communauté internationale avait fait de l'égalité des sexes son cheval de bataille. Mais, pour les féministes comme pour leurs alliés, ce qui se passe aujourd'hui est effrayant et décourageant. Où avons-nous fait fausse route?

Pour comprendre l'érosion apparente du droit des femmes en 2014, il faut envisager celui-ci non comme une destination mais comme une rive qui n'est visible qu'à marée basse et invisible à marée haute. Les périodes de paix et de prospérité correspondent aux marées basses, quand le droit des femmes est un élément important du développement et de la modernité d'un pays ou d'une région. Il est indéniable que les femmes ont fait des progrès en matière d'éducation et de choix professionnels, et qu'elles jouent un rôle plus important dans la société depuis qu'elles revendiquent leurs droits et qu'elles obtiennent le soutien de leurs alliés masculins afin de faire changer la législation et les comportements.

"Il faut envisager le droit des femmes comme une rive qui n'est visible qu'à marée basse et invisible à marée haute."


La Scandinavie et l'Europe du Nord sont représentatives de ce phénomène: ces sociétés relativement stables et prospères, avec un faible taux de corruption et une grande transparence, permettent de débattre de sujets comme l'égalité des sexes au niveau national. Après des années de militantisme et de débats, celle-ci fait désormais partie des fondements de ces sociétés. Difficile aujourd'hui d'envisager un jour où les femmes n'y seront plus considérées comme les égales des hommes. Dans l'édition 2013 du rapport mondial sur l'écart entre les genres, l'Islande, la Finlande, la Norvège et la Suède sont aux quatre premières places.

Mais quand des guerres, des conflits armés ou des catastrophes endeuillent un pays pauvre et instable, la marée haute emporte, tel un tsunami, les précieuses avancées des femmes. Ce que nous observons depuis vingt ans et les sommets du Caire et de Beijing, c'est que dans un pays troublé, le droit des femmes est souvent la première victime collatérale de l'instabilité: les gens réagissent de manière insulaire, en conséquence de quoi les femmes sont infantilisées en termes de restriction de mouvement et de libertés, au nom de la sécurité, quand les hommes partant au combat.

L'exemple parfait de ce phénomène est l'Afghanistan. Dans les années 1960 et 1970, les femmes de ce pays étaient libres d'étudier à l'université et de travailler. Mais les Etats-Unis et l'URSS y ont mené leur dernier combat de la guerre froide, et la défaite de l'Union soviétique s'est accompagnée d'une vacance du pouvoir. Les chefs de guerre et les Talibans se sont emparés du pays et, dans la tourmente, les femmes et les filles ont quasiment été assignées à résidence, sans pouvoir travailler ni aller à l'école.

"Quand des guerres, des conflits armés ou des catastrophes endeuillent un pays pauvre et instable, la marée haute emporte, tel un tsunami, les précieuses avancées des femmes."


Au prétexte de garantir leur sécurité, les femmes ont été emprisonnées. Il est vrai qu'elles étaient en grand danger dans les années qui ont suivi la guerre avec l'URSS, victimes de viols et de meurtres aux mains des bandes rivales qui se disputaient le pouvoir. Mais cet état de fait se prolonge depuis près de trente ans, depuis que les Talibans en ont fait des quasi prisonnières, totalement dépendantes des hommes, conséquence symbolique de leur régime sadique. Aujourd'hui, les Afghanes luttent pour se remettre de la brutalité des Talibans. Leur avenir restera sans doute précaire après le retrait des Américains en 2015.

Il est facile de soutenir que le manque de droit des femmes, en Afghanistan et ailleurs, est lié à l'extrémisme islamique, envisagé comme une mutation rétrograde qui place les femmes en position d'inégalité par rapport aux hommes, un état de fait entériné par le pouvoir religieux. Ce qui est incontestable, c'est qu'en sombrant dans le chaos, la société afghane est revenue aux notions traditionnelles du rôle des hommes et des femmes, et de l'obligation des premiers de protéger les secondes. Dans tous les pays - qu'ils soient ou non musulmans - où le patriarcat est encore prédominant, les hommes se sentent autorisés à restreindre les libertés des femmes et à les priver de leurs droits durement acquis, sous prétexte de restaurer l'ordre dans la société.

On observe le même phénomène de déclin du droit des femmes dans toutes les zones de conflit. Le printemps arabe était censé déclencher une révolution dans tout le Moyen-Orient. Au début, femmes et hommes y ont participé avec enthousiasme, pensant que l'égalité des sexes ferait partie des revendications communes à toute la région. Mais quand certains pays, notamment l'Egypte et la Libye, ont sombré dans la répression, les droits des femmes ont été les premières victimes. La dictature militaire a pris les manifestantes pour cible et a commis des exactions à leur encontre, pour les maîtriser mais surtout pour encourager leurs alliés masculins à les abandonner ou pire, à s'en prendre à elles et à les remettre à leur place.

"Les gens qui se trouvent dans une zone d'instabilité réagissent de manière insulaire: les femmes sont infantilisées en termes de restriction de mouvement et de libertés, au nom de la sécurité, quand les hommes partant au combat."


Les droits des femmes ont pareillement souffert en Syrie et en Irak. Depuis l'éclatement de la Syrie, les femmes du pays sont violées et assassinées par le régime de Bachar el-Assad et les différentes factions qui tentent de prendre le pouvoir. L'Irak a connu la même transformation rétrograde depuis l'invasion américaine en 2003. Dans ces deux pays, la condition des femmes a connu un net recul quand la paix et la prospérité ont cédé la place à une lutte à mort des plus archaïques. L'arrivée de Daesh dans la région a enterré toute perspective d'égalité des sexes, comme elle avait signé l'arrêt de mort des hommes et des femmes qui s'étaient opposés à sa domination.

Nul besoin, cependant, d'une guerre totale pour mettre en danger le droit des femmes. Dans mon propre pays, le Pakistan, nous sommes en guerre contre le terrorisme depuis treize ans, quand le conflit a dépassé les frontières de l'Afghanistan et des zones tribales et s'est étendu à la nation tout entière.

Les combats ne se sont pas généralisés, et la plupart des Pakistanais arrivent à vivre une vie normale, mais ils se sont combinés à d'autres modes de pression - principalement économiques et d'instabilité politique - pour engendrer une atmosphère de tension générale. Les Pakistanaises ont aujourd'hui plus d'influence que jamais à l'échelle de la planète, et elles militent en faveur de leur émancipation. Mais elles subissent les violences d'hommes agrippés au patriarcat traditionnel (en se servant de la religion pour justifier leurs actions) par sentiment de sécurité dans une époque troublée.

"Le patriarcat donne aux hommes un sentiment de sécurité dans une époque troublée."


Au lieu de ne se concentrer que sur la lutte contre la pauvreté, la maladie, l'intolérance et la discrimination, nous nous battons pour des territoires, le pouvoir et des ressources. Des millions d'innocents font les frais de cette politique. Mais il semble que ce soit toujours les femmes qui paient le tribut le plus lourd en temps de guerre. Les féministes des pays en conflit savent depuis longtemps que le corps des femmes est le premier champ de bataille dans les guerres d'attrition entre nations. Les sociétés en guerre sont plus enclines à subjuguer les femmes qu'à les aider à résister contre les violences et la ségrégation sexuelles. Ce phénomène peut être envisagé comme une réaction violente contre les progrès en matière de droits des femmes, mais il serait plus précis de le voir comme la conséquence logique d'un monde en guerre où le droit des femmes n'est vraiment pas une priorité.

La paix et la résolution des conflits mondiaux et régionaux s'accompagneront d'une plus grande égalité des sexes. La guerre et les schismes auront toujours l'effet inverse. C'est aussi simple que ça.

Ce blog, publié à l'origine sur Le Huffington Post (Etats-Unis), a été traduit de l'anglais par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.



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