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In Memoriam: Neji Naghmouchi

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Néji Naghmouchi s'en est allé par un dimanche de juillet. Un horrible accident de voiture l'a arraché à tous ceux qui l'aimaient et qui sont dans la peine.

La première fois que j'ai rencontré Néji, j'ai été séduite par sa culture, son ouverture d'esprit, son parler franc et direct, ses idées à foison, sa liberté de ton, et sa proximité, sa connivence avec les jeunes. Mais c'était son amour pour Tabarka, qu'il voulait toujours plus grande et plus belle, que j'appréciais par-dessus tout.

Un amour que nous partageons tous et que nous cherchons tous à faire partager, même quand nous constatons combien notre ville, qui aurait tant à offrir pourtant, est l'objet de déprédations ou de mutilations répétées ou quand un journal affirme que notre cité cumule aujourd'hui tous les maux de la Tunisie, ce qui n'est malheureusement pas tout à fait faux.

Nous n'avons plus alors qu'une seule envie, nous battre pour rendre à Tabarka son lustre, sa fierté, pour restituer aux autres et à nous-mêmes la cité brillante qu'elle fut au cours de son histoire. Pendant l'antiquité, quand son port exportait en Méditerranée le marbre de Chimtou, les produits de son arrière-pays et les bêtes sauvages pour les jeux du cirque. Du 16e au 18e siècle, quand une cité de marins, de pêcheurs et de commerçants, objet de bien des rivalités internationales, s'érigea sur les flancs et le sommet de l'île (aujourd'hui presqu'île), habitée par ces Génois qu'on désignait dans les textes de la Régence de Tunis sous le nom de "Tbarki" ou "Tabarchini". Et, plus récemment, dans les années 70, début quatre-vingt, quand son festival, qui regroupait tous les arts et pas seulement le jazz, exportait dans le monde entier sa formule "ne pas bronzer idiot" et son "université d'été", vocable que bien des partis politiques européens ont adopté quand ils organisent leurs assemblées annuelles, même si celles-ci n'ont rien de commun avec l'université.

LIRE AUSSI: Tabarka: La plaisance n'est pas une plaisanterie (de Néji Naghmouchi)


Néji est né à Jendouba, le 15 mars 1956. Détenteur d'un D.E.A. en sciences sociales sur la "notion d'esthétisation de l'espace public dans le cinéma indépendant américain", obtenu à Paris, à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, en 1986, il était artiste visuel et cinéaste documentariste. Il fut, entre 1990 et 1996, assistant chargé de cours sur le langage cinématographique et esthétique des mouvements sociaux à l'Université de Genève, réalisateur-producteur à la TV suisse romande et chargé de communication au festival d'Avignon Off. Il fut membre fondateur, à Istanbul, en 1995, de l'Action citoyenne et artistique. C'est à la direction de la télévision clandestine "El hiwarettounsi" qu'on le retrouve en 2006. Il fut aussi directeur de production du Colors Magazine de la fondation Benetton. Enfin, il réalisa une quinzaine de films documentaires et de fiction en France, Tunisie, Turquie, Libye et Suisse.

Il fonda en 2012 avec un groupe d'amis "Tabarkini, association de sauvegarde de Tabarka", au bureau de laquelle il voulut bien m'appeler. Le thème du sigle de l'association, "Ta révolution est en toi", n'a pas été choisi au hasard. C'est une autre manière de dire : Agis, n'attends pas, "ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour ton pays".

Comme c'est aussi ce que pensent les membres du bureau et les adhérents de l'association que je préside, "Le pays vert : la Tunisie du N.-O", nous avons commencé à travailler tous ensemble pour développer notre cité et sa région.

La nécessité de désenclaver la région, ce N.-O. à l'identité forte, en l'ouvrant d'abord à elle-même, puis à l'ensemble de la Tunisie septentrionale et à son voisin immédiat, l'Algérie, enfin à la Méditerranée et donc au monde, nous est apparue comme une évidence.

Nos projets communs, grands ou petits, se complètent. Néji et son équipe de jeunes artistes ont commencé, comme d'autres associations locales, je pense à "Jeunesse et Horizons", par s'intéresser à la propreté et à l'embellissement de la ville, laissée en jachère faute de conseil municipal. Leur mérite a consisté, en mars 2013, comme le montrent les photos, à nettoyer, réaménager et décorer une rue en escalier du centre-ville et à transformer des containers à déchets en "œuvre d'art".

Par ailleurs, nous avons pu restaurer ensemble, à la demande de Tabarkois qui s'inquiétaient de l'abandon de cette partie de leur patrimoine, et grâce à l'aide matérielle d'un entrepreneur local, le seul cimetière chrétien marin de Tunisie, plus beau que celui que chanta à Sète Paul Valéry.

A côté de ce type d'actions ponctuelles et limitées, c'est à des projets méditerranéens d'une autre envergure que nous nous sommes attachés ensemble avec nos alter-ego des communautés tabarquines de Carloforte, Calasetta, NuevaTabarca-Alicante, Pegli-Gênes. La nécessité de sauver notre patrimoine historique et monumental en piètre état - un atout économique créateur d'emplois pour la cité cependant- de le faire vivre en permanence en le restituant aux habitants etaux visiteurs, s'est immédiatement imposée. On sait tous combien le tourisme contribue à la richesse de villes comme Paris, Rome, Athènes, Istanbul, et assure une part de PNB supplémentaire aux pays dont elles dépendent, un tourisme qui s'appuie sur le patrimoine et la culture, sans oublier la nature.

Le projet de classement au patrimoine immatériel de l'UNESCO de "L'héritage culturel immatériel de l'aventure historique des Tabarchini" que nous avons présenté ensemble, en mai dernier, à l'Institut National du Patrimoine de Tunis, instance officielle chargée de l'inscrire sur l'inventaire et de le proposer à candidature, est un des éléments les plus importants du dispositif. Un classement au patrimoine culturel de l'UNESCO est un atout considérable pour une ville, nous le savons tous. Il contribue à la faire connaître, à l'ouvrir, et à la développer.

Nombre d'actions sont prévues dans ce cadre, avec l'aide d'organismes internationaux. Des contacts importants ont été noués par Néji avec l'UNOPS, la région italienne du Lazio, l'association "Collines romaines". De notre côté, c'est avec Gênes, la région de Ligurie, les communes "tabarquines" et Alicante, qui nous avons resserré les liens et envisagé nombre d'actions culturelles et sportives dont les retombées touristiques et économiques doivent être appréciables. Par ailleurs, il va sans dire que nous collaborons aussi avec de nombreuses associations locales et régionales, comme la Fédération hôtelière du N.-O., par exemple, qui a un rôle important à jouer.

Tabarka compte de nombreuses associations, chacune avec ses spécificités, ses savoir-faire. Il faut donc désormais que, nous qui vivons à Tabarka, y travaillons, y venons en visite, ou simplement l'aimons, nous nous unissions et travaillions ensemble, dans l'intérêt de notre ville, de nos concitoyens, de notre région. S'attacher enfin à ce qui nous rassemble et non à ce qui nous sépare est le plus beau des programmes et le plus bel hommage que nous puissions rendre à Néji Naghmouchi, cet homme engagé.

Outre les membres du bureau et les adhérents du "Pays vert", Mme Saloua Darghouth, Directeur de la Recherche et de l'Inventaire, à l'Institut National du Patrimoine, Tunis, et M. Luciano Gonella,Coordinator, Services for International Partnerships, KIP Project Office, UNOPS , Roma, s'associent à cet hommage.


Restauration de la rue en escalier à Tabarka par les jeunes de l'association Tabarkini





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