Quantcast
Channel: Maghreb
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

C'est décidé ... pour vous

$
0
0
Ecrire sur la fameuse loi 52! Vingt fois que j'en écris le début et vingt fois que je recommence.

Préalablement, précisons, sommairement, que la fameuse loi 52 fait polémique pour ses peines plancher en matière de stupéfiants. C'est minimum 1 an de prison et 1000 dinars d'amende. 6 mois "seulement", si vous ne faisiez qu'être en présence de fumeurs de joints. Et ça peut monter jusqu'à cinq ans et 3000 dinars d'amende si vous êtes récidivistes, dealers, ou trop mal né.

"C'est dur, c'est sévère" disent les uns. C'est vrai que c'est dur. C'est vrai que c'est sévère. "C'est normal, c'est la loi" disent les autres. C'est vrai que c'est la loi, c'est vrai que la consommation de stupéfiants est prohibée parce que néfaste. Comme l'alcool, comme la cigarette, comme le CO2 rejeté par les voitures, comme les matières grasses saturées, comme le sucre à outrance dans le thé aux pignons. Vivre peut s'avérer mortel oserait-on même penser.

"La peine plancher, ce n'est pas humain" disent beaucoup. Mouais... à débattre. En tout cas c'était censé être dissuasif, les études ont tendance à prouver que ca ne l'est pas.

En somme, je ne me sens pas crier avec mes amis sur le coté inhumain de cette loi, avec ces arguments, et je ne peux pas rester de marbre face aux injustices qu'elle provoque, qu'elle peut provoquer, malgré ces arguments.

C'est une loi de Ben Ali nous dit-on, pour pouvoir contrôler la jeunesse. Mouais... en même temps nous ne sommes pas le seul pays à avoir une loi punissant d'une peine-plancher les consommateurs de stupéfiants. Et Ben Ali ne fut dictateur qu'en Tunisie.

Toutes les lois sous Ben Ali ne sont pas à jeter à la poubelle, fut-il un dictateur ni éclairé ni éclairant.

Ces arguments présentés comme massues pour l'abrogation de cette loi m'ébranlent certes, mais n'arrivent pas à emporter ma conviction profonde, sans faille, absolue.

L'ultime argument pour emporter l'adhésion serait celui des dérives policières qui en découlent, ces derniers utilisant le quasi-automatisme de la peine pour assouvir leurs vengeances personnelles contre un opposant à un ordre stalinien, une figure libre qui devient trop emblématique, un voisin gênant, ou pour se distraire un samedi soir.

Oui, effectivement, certains policiers peuvent se servir de cette loi pour se venger, en introduisant des "boulettes" de shit dans les poches de ceux qu'ils veulent voir condamnés. C'est facile, une boulette et c'est au minimum un an à l'ombre.

Soit. On va faire une loi, on va adoucir les peines.

Première boulette, et on reçoit un rappel à la loi. Deuxième boulette, on prend du sursis. Troisième boulette, c'est du ferme. On décale le curseur et les policiers vengeurs, les ripoux, mettrons par trois fois des boulettes de shit, au lieu d'une pour venir à bout de leurs funestes desseins.

L'adoucissement de la loi n'empêchera pas les abus. Malheureusement.

A faire le tour, on se rend compte que finalement on mélange beaucoup de choses. Abus policiers, consommation de stupéfiants, cadre rigide de la loi pénale. Muselage politique.

Bref tout y passe, pour justifier qu'on est contre.

Donc à suivre ce raisonnement, dépénaliser la consommation de cannabis fera cesser les dérives de l'abus de pouvoir des forces de l'ordre, la parole politique sera totalement libérée, et nous vivrons dans une société juste, éclairée et égalitaire.

Soyons sérieux et reprenons dés le début. A la genèse.

Un des rôles de la loi est de veiller au respect de l'ordre public. C'est à dire de prohiber les comportements qui peuvent avoir pour conséquence de semer un trouble à l'ordre public.

Nous avons déjà éludé la problématique liée à la santé publique, disant que si ce prétexte était retenu, j'écris prétexte, nous interdirions 90% des aliments que nous ingurgitons, sans parler des cigarettes et des matières polluantes.

Reste donc l'ordre public. Interdiction de la consommation de cannabis pour éviter des troubles à l'ordre public. Peine plancher pour avoir un effet dissuasif. La messe est dite, et nous voilà dans un monde plus juste, une société paisible où les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, mais surtout ceux des cliniques privées.

Permettez-moi alors juste un petit avis sur le sujet. La Tunisie, sa jeunesse, puisque c'est elle qui est en grande partie concernée par la consommation de stupéfiants, n'en est pas encore au stade où, pour veiller au maintien de l'ordre de public, il faut une sévérité exemplaire pour décourager la consommation de matières qui permettent d'échapper à son quotidien.

Une fois que nous aurons réglé le problème "du quotidien" on pourra, peut-être, envisager une grande fermeté pour ceux qui cherchent des paradis artificiels.

Ce qui est un trouble manifeste à l'ordre public aujourd'hui, c'est le taux de chômage chez les jeunes. Ce qui est un trouble flagrant à l'ordre public aujourd'hui, c'est que la jeunesse est délaissée dans ce pays. Ce qui est un trouble injuste à l'ordre public dans ce pays, c'est que chaque avancée qu'il connaît, il le doit à sa jeunesse volontaire et courageuse, pourtant oubliée. Ce qui est un trouble troublant à l'ordre public, c'est que cette jeunesse est exclue de la vie publique. Ce qui est un trouble grossier à l'ordre public aujourd'hui, c'est cette sévérité et cette intransigeance abjecte avec laquelle on traite cette jeunesse.

L'ordre public, si cher à nos biens lotis, parce que ce sont eux qui en sont les premiers et exclusifs bénéficiaires, cet ordre public là induit une égalité des chances, cet ordre public là prohibe les injustices liées au sexe, à la situation sociale ou économique, à l'origine régionale, à la couleur de peau. Est ce le cas ? Non. En revanche, pour le shit, ca fonctionne bien.

Alors on est bien gentil d'en appeler à l'ordre public pour justifier toutes les frustrations qu'on inflige aux citoyens, mais il va falloir songer à desserrer l'étau dans lequel on compresse une jeunesse à qui on a volé son passé, dont on hypothèque l'avenir, et pour qui il ne reste qu'un présent sordide.

Soit on envisage de faire en sorte que leurs vies ne soient plus un enfer journalier, pris en tenailles entre la répression, le chômage, la dette et le terrorisme, soit on est un peu moins sévère quand ils cherchent un paradis artificiel. Mais en l'état et en prenant un peu de recul, on pourrait avoir le sentiment, que nous empêchons cette jeunesse de rêver, d'avoir de l'espoir. Comme si nous craignions que ce rêve, cet espoir puisse, par exemple, créer une révolution pour chasser les despotes nantis de la matraque.

Oh je vous vois venir, les défenseurs d'un ordre mondial à mouvement à quartz, me dire que les drogues coutent de l'argent, et que ce ne sont pas ceux là qui en consomment. Bien parlons des autres jeunes alors, ceux qui en ont un peu plus les moyens. C'est quoi l'avenir que vous leur offrez, le rêve social que vous leur soumettez? Quelle société avez-vous transmis à ceux-là? Vous avez dépensé avec vos frasques leurs revenus sur quatre générations, et ils se retrouvent à devoir rembourser une charge de la dette qui est le premier budget de l'état pour de l'argent dont ils n'ont pas vu la couleur. Ils servent à quoi leurs diplômes et nos belles routes éclairées, enfin surtout celle de la Marsa, quand on n'a ni salaire décent au mieux, ni travail au pire?

Nous avons mis en place une soit disant société méritocratique, où les plus méritants pourront faire les meilleures études. Sachant que le mérite s'obtient par le travail et la volonté; le travail dans une école privée, la volonté d'aller aux cours de soutien scolaire payés par les parents. Les autres feront des études de psycho pour pouvoir reprendre plus tard la petite exploitation agricole d'une petite terre agricole de leurs parents, dans le fin fond d'une Tunisie dont on ne cesse de parler mais que peu connaissent. Un beau diplôme accroché au mur, ça donne du courage quand on rentre éreinté du labour le soir, et qu'il reste 27 dinars pour finir le mois commencé depuis seulement 5 jours.

Ingénieur agronome, c'est pour les plus méritants, ceux qui n'étaient pas cinq à partager une chambre, qui ne marchaient pas une heure et demie par jour pour aller à l'école, ceux qui avait du chauffage à l'internat, et pour qui il ne pleuvait pas dans la classe.

Oui il y a des menaces terroristes, oui la situation économique est dramatique, et oui il y a bien d'autres priorités plus immédiates que le débat sur la Loi 52. Il y a toujours un bon prétexte pour remettre à demain la destruction de la chape de plomb qu'on fait peser sur les jeunes. Et sans jeunesse, pas une nation n'a d'avenir, son présent sera morbide. Alors maintenant on arrête tous les discours, et on agit et on envoie un signal fort. Peu importe que cette loi 52 ne touche pas que les jeunes, le fait est que les jeunes la prennent pour eux, les jeunes la prennent contre eux.


Vous voyez je n'ai pas parlé d'Azyz Amami. Parce qu'Azyz n'est pas un faire-valoir, c'est un symbole. Un symbole de tout ça réunit.

Allez, jeunes gens, prenez place. Nos erreurs sont responsables de vos errements, si tant est que vous erriez. Parce que même ça on le décide pour vous.


Retrouvez les articles du HuffPost Maghreb sur notre page Facebook.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>