Le président tunisien, dans une récente interview, a remis sur le tapis la question de l'égalité entre les hommes et les femmes à travers la question de l'héritage. Ce n'est pas la première déclaration du genre, que ce soit de la part du Président lui-même ou, plus généralement, du corps politique volontiers qualifié de "moderniste", sinon de "progressiste". Il y a donc maintes raisons pour négliger a priori ce qui pourrait être davantage la énième réminiscence d'un serpent de mer qu'un projet réel et concret. Et pourtant. Une question publique reste de la "manœuvre politicienne" tant qu'elle n'est pas appropriée par la société civile, ses partis, ses syndicats, ses associations mais aussi ses intellectuels, ses leaders d'opinion ou ses militants. La question n'est donc pas de savoir ce que peut bien chercher le Président nonagénaire en provoquant ce débat clivant. Sans possibilité d'avoir des éléments consistants, cela tournerait de toute façon au procès d'intention. La question est bien de savoir s'il existe une force progressiste en capacité de s'approprier ce débat et de faire pression sur les représentants du peuple pour abolir une situation indubitablement discriminatoire à l'égard des femmes.
Pour ce faire, il est nécessaire de tenir compte de la donne politique, sociale et sociétale tunisienne car c'est la compréhension de celle-ci qui va donner les clés du clivage sur cette question mais aussi les clés pour le surmonter. En effet, la question de l'héritage n'est pas liée à la seule norme religieuse mais à tout un faisceau de règles explicites et implicites qui ancrent l'individu dans la société.
L'implicite anthropologique nous semble ici être la vraie règle première. L'homme tunisien déploie une stratégie matrimoniale qui précède et préserve sa stratégie patrimoniale: avant le mariage heureux et onéreux, il y a la reconnaissance de la capacité de l'épouse à gérer les biens de son mari sans léser le clan de celui-ci. Rien d'étonnant donc à ce que la Tunisie soit l'un des pays où le taux de mariage consanguin est le plus élevé au monde. En se choisissant une épouse issue de sa famille élargie, l'homme tunisien se préserve de tout transfert de bien en dehors de son clan, même après sa mort. La norme est respectée. Ajoutons à cela que la Tunisie présente un taux de ménages propriétaires de leur logement parmi les plus élevés au monde et chacun comprendra pourquoi la question de l'héritage y est politiquement explosive.
Un autre élément de mode de vie devrait être pris en compte pour comprendre que cette inégalité découle d'autres habitudes sociologiques. Dans la famille tunisienne type, du fait d'un marché immobilier très spéculatif, on a tendance à construire en hauteur: un foyer originel bâti par les parents, surmonté plus tard d'une autre habitation à destination du fils aîné qui pourra ainsi se marier dans les meilleures conditions. Les cadets bénéficient parfois du même avantage en fonction du budget disponible, de la taille de la famille et, accessoirement, de la charge supportable par les piliers. Les filles, en revanche, sont réputées devoir habiter chez leur mari une fois mariées. Elles ne sont pas donc pas prioritaires. En pratique, elles sont exclues de ce partage de fait. À terme, la fratrie est donc confrontée à l'arbitrage d'un héritage essentiellement constitué d'un bien immobilier, partiellement ou totalement occupé par un ou plusieurs frères et dont les sœurs demandent compensation financière à hauteur de leur part d'héritage. Bien souvent, les frères sont en incapacité de payer cette compensation du fait de la spéculation immobilière et la morale commune réprouve de les faire sortir de leur résidence de facto pour procéder à une vente. Ce serait au passage une terrible défaite pour la fratrie: le bien vendu sortirait de la famille. Autant dire que cette crainte de l'opprobre serait amplifiée avec une part féminine qui doublerait?
Le troisième élément est évidemment celui de la norme religieuse. Aucun changement humain de la loi divine ne serait permis, sous peine de subir l'ire du Seigneur lui-même en ce monde et dans l'au-delà. En d'autres termes, la loi divine serait une donnée figée, indiscutable et applicable littéralement selon un raisonnement que les pires des intégristes n'auraient pas renié. Par ailleurs, la prévalence du discours salafiste amplifie cette approche de la norme religieuse comme un acquis figé et impossible à questionner. Le recours à la philologie et plus généralement à tous les outils modernes d'analyse des textes est donc ici tout à fait vain.
La question de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière d'héritage n'est donc pas plus qu'une simple réforme juridique. Celle-ci est au centre d'habitus d'origine anthropologique, sociologique et religieux. Tout comme le modernisme à marche forcée de Bourguiba n'a pas exactement produit les effets escomptés, le progressisme (même démocratique) qui serait poussé par une seule faction politique est voué à cliver la société. Ce débat doit donc être mené de manière endogène et inclusive en apportant tous les éléments d'audit, d'explication et d'analyse de la situation actuelle en tenant compte de toutes les sensibilités en présence. Une commission pourrait tenir ce rôle à condition qu'elle respecte les équilibres mentionnés, qu'elle se dote de règles de fonctionnement transparentes et qu'elle se donne les moyens de la pédagogie auprès du plus grand nombre.
Il ne s'agira pas d'évoluer vers un consensus mou mais bien de garantir les principes universels d'égalité dans un contexte culturel, économique et social bien précis. Enfin, comme il est inimaginable d'aboutir à une situation qui créerait un effet d'aubaine pour les uns et un dégradation économique pour les autres, cette réforme de l'héritage doit être envisagée en même temps que la fiscalité sur l'héritage et les conditions générales de logement notamment en ce qui concerne les jeunes ménages. C'est la seule manière de convaincre tout un chacun que la donne globale est plus favorable pour le plus grand nombre. Quant à l'aspect normatif découlant du religieux, la pédagogie consistera à mettre en lumière la différence entre une loi religieuse donnée qui demeure écrite par des hommes et des textes fondateurs révélés dans un contexte et donc nécessairement sujets à interprétation. L'héritage est une donnée économique. Celle-ci est donc forcément située dans un environnement qui ne saurait être intangible.
Pour ce faire, il est nécessaire de tenir compte de la donne politique, sociale et sociétale tunisienne car c'est la compréhension de celle-ci qui va donner les clés du clivage sur cette question mais aussi les clés pour le surmonter. En effet, la question de l'héritage n'est pas liée à la seule norme religieuse mais à tout un faisceau de règles explicites et implicites qui ancrent l'individu dans la société.
L'implicite anthropologique nous semble ici être la vraie règle première. L'homme tunisien déploie une stratégie matrimoniale qui précède et préserve sa stratégie patrimoniale: avant le mariage heureux et onéreux, il y a la reconnaissance de la capacité de l'épouse à gérer les biens de son mari sans léser le clan de celui-ci. Rien d'étonnant donc à ce que la Tunisie soit l'un des pays où le taux de mariage consanguin est le plus élevé au monde. En se choisissant une épouse issue de sa famille élargie, l'homme tunisien se préserve de tout transfert de bien en dehors de son clan, même après sa mort. La norme est respectée. Ajoutons à cela que la Tunisie présente un taux de ménages propriétaires de leur logement parmi les plus élevés au monde et chacun comprendra pourquoi la question de l'héritage y est politiquement explosive.
Un autre élément de mode de vie devrait être pris en compte pour comprendre que cette inégalité découle d'autres habitudes sociologiques. Dans la famille tunisienne type, du fait d'un marché immobilier très spéculatif, on a tendance à construire en hauteur: un foyer originel bâti par les parents, surmonté plus tard d'une autre habitation à destination du fils aîné qui pourra ainsi se marier dans les meilleures conditions. Les cadets bénéficient parfois du même avantage en fonction du budget disponible, de la taille de la famille et, accessoirement, de la charge supportable par les piliers. Les filles, en revanche, sont réputées devoir habiter chez leur mari une fois mariées. Elles ne sont pas donc pas prioritaires. En pratique, elles sont exclues de ce partage de fait. À terme, la fratrie est donc confrontée à l'arbitrage d'un héritage essentiellement constitué d'un bien immobilier, partiellement ou totalement occupé par un ou plusieurs frères et dont les sœurs demandent compensation financière à hauteur de leur part d'héritage. Bien souvent, les frères sont en incapacité de payer cette compensation du fait de la spéculation immobilière et la morale commune réprouve de les faire sortir de leur résidence de facto pour procéder à une vente. Ce serait au passage une terrible défaite pour la fratrie: le bien vendu sortirait de la famille. Autant dire que cette crainte de l'opprobre serait amplifiée avec une part féminine qui doublerait?
Le troisième élément est évidemment celui de la norme religieuse. Aucun changement humain de la loi divine ne serait permis, sous peine de subir l'ire du Seigneur lui-même en ce monde et dans l'au-delà. En d'autres termes, la loi divine serait une donnée figée, indiscutable et applicable littéralement selon un raisonnement que les pires des intégristes n'auraient pas renié. Par ailleurs, la prévalence du discours salafiste amplifie cette approche de la norme religieuse comme un acquis figé et impossible à questionner. Le recours à la philologie et plus généralement à tous les outils modernes d'analyse des textes est donc ici tout à fait vain.
La question de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière d'héritage n'est donc pas plus qu'une simple réforme juridique. Celle-ci est au centre d'habitus d'origine anthropologique, sociologique et religieux. Tout comme le modernisme à marche forcée de Bourguiba n'a pas exactement produit les effets escomptés, le progressisme (même démocratique) qui serait poussé par une seule faction politique est voué à cliver la société. Ce débat doit donc être mené de manière endogène et inclusive en apportant tous les éléments d'audit, d'explication et d'analyse de la situation actuelle en tenant compte de toutes les sensibilités en présence. Une commission pourrait tenir ce rôle à condition qu'elle respecte les équilibres mentionnés, qu'elle se dote de règles de fonctionnement transparentes et qu'elle se donne les moyens de la pédagogie auprès du plus grand nombre.
Il ne s'agira pas d'évoluer vers un consensus mou mais bien de garantir les principes universels d'égalité dans un contexte culturel, économique et social bien précis. Enfin, comme il est inimaginable d'aboutir à une situation qui créerait un effet d'aubaine pour les uns et un dégradation économique pour les autres, cette réforme de l'héritage doit être envisagée en même temps que la fiscalité sur l'héritage et les conditions générales de logement notamment en ce qui concerne les jeunes ménages. C'est la seule manière de convaincre tout un chacun que la donne globale est plus favorable pour le plus grand nombre. Quant à l'aspect normatif découlant du religieux, la pédagogie consistera à mettre en lumière la différence entre une loi religieuse donnée qui demeure écrite par des hommes et des textes fondateurs révélés dans un contexte et donc nécessairement sujets à interprétation. L'héritage est une donnée économique. Celle-ci est donc forcément située dans un environnement qui ne saurait être intangible.
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