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Crise syrienne: La Turquie à l'épreuve pour rester un leader régional

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Il y a quelques semaines le gouvernement turc interdisait YouTube pour éviter la diffusion d'une discussion interceptée entre le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoğlu, et le chef des services secrets turcs Hakan Fidan. On y entend les deux hommes envisager une attaque militaire contre la Syrie. C'est le résultat de trois ans de tentative de leadership dans le dossier syrien, avec l'appui des Etats-Unis, de la France, de l'Angleterre et du Golfe. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a été parmi les premiers à réagir aux révoltes en Syrie.

Depuis plus de dix ans en effet la Turquie prétend au rôle de puissance régionale, motivée notamment par les théories d'Ahmet Davutoğlu, professeur en science politique converti conseiller d'Erdoğan puis ministre des Affaires étrangères en 2009. Ce dernier est à l'origine du "zéro problème avec les voisins", qui prône l'apaisement et la coopération avec tous les pays de la région. C'est ce qui mène les Turcs à s'engager dans des contrats avec l'Iran concernant le gaz, des coopérations économiques et sécuritaires avec le Kurdistan irakien notamment.

Une décennie de rapprochement avec le régime des Assad

La Syrie rentrait tout à fait dans ces calculs. Le dialogue était tendu entre les deux Etats à cause de la question kurde et des enjeux de l'eau. Hafez al-Assad soutenait en effet le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan), qui revendique par la force les droits des Kurdes en Turquie. En 1998, Hafez al-Assad remet le leader du groupe Abdullah Öcalan aux autorités turques, les relations deviennent plus cordiales entre les deux pays.

Cette détente se poursuit pendant la présidence de, Erdoğan allant jusqu'à considérer ce dernier comme un "ami". En 2004 lors d'une rencontre officielle un accord de marché commun est signé, ratifié en 2007. C'est dans ce climat de bienveillance que la révolte a commencé en Syrie, alors qu'Erdoğan place son gouvernement comme un modèle islamique modéré et démocratique. Dans une volonté de maintenir le soft power turc, le président Abdulah Gül fait pression sur Bachar el-Assad dès le début de la révolte pour que ce dernier engage une transition démocratique.

Erdoğan le nouveau "calife"

N'ayant pas de signe de bonne volonté de la part du président syrien, Erdoğan et Davutoğlu changent de politique vis-à-vis du régime. Il n'est plus question pour la Turquie que Bachar el-Assad reste, le choix de l'opposition est fait, la Turquie va jusqu'à accueillir à Istanbul la réunion fondatrice du Conseil national syrien en octobre 2011. Le revirement est clair: il n'est plus question de soutenir la cohésion nationale en Syrie comme A. Gül le souhaitait, mais bien de favoriser l'opposition dont la communautarisation est déjà connue. La rupture avec le "zéro problème avec les voisins" est tout aussi évidente. En effet en choisissant l'opposition à majorité sunnite et soutenue par le Golfe, la Turquie assume d'entrer dans une logique de confrontation avec l'axe chiite composé de l'Iran, le régime syrien et le Hezbollah. Selon Bachar el-Assad en 2012, Erdoğan se prend alors pour un nouveau "calife", souhaitant réunir sous son influence tous les pays sunnites de la région.

Dès le début de l'année 2012 la Turquie passe des contraintes politiques et économiques à l'encontre du régime aux menaces militaires. A l'occasion du flux de réfugiés en provenance d'Alep et des tensions qui en ont découlé dans la région frontalière, Erdoğan a proposé la création d'une zone tampon entre la Syrie et la Turquie. L'escalade est alors amorcée entre les deux Etats, avec des provocations de part et d'autre.

En juin 2012, le régime syrien abat un avion militaire turc, considérant que ce dernier avait passé la frontière syrienne. Ce même mois, Erdoğan place des tanks à la frontière. En octobre la même année la Turquie force un avion de ligne syrien en provenance de la Russie à atterrir à Ankara pour un contrôle de sécurité, les autorités turques le soupçonnant de transporter du matériel militaire illégalement.

L'appel à la communauté internationale

En avril 2012, le gouvernement turc a renoncé à la résolution régionale du conflit pour le placer dans un contexte international, en mobilisant à la fois l'ONU et l'OTAN. A partir de ce moment-là une stratégie offensive est envisagée par Davutoğlu qui menace de répondre à tous les tirs qui viennent du côté syrien, et surtout qui tente de lancer une coalition américaine et européenne contre le régime syrien.

Après une courte accalmie les tensions reprennent à l'occasion du débat autour de l'utilisation par le régime de gaz sarin en août 2013. Erdoğan et Davutoğlu sont alors en contact constant avec Barack Obama pour soutenir auprès de lui l'idée de frappes contre la Syrie. Auparavant les deux pays étaient en lien selon le journaliste du New-Yorker Seymour Hersch dans le cadre de la "Rat line" (ligne d'exfiltration) qui acheminait les armes des guérillas libyennes aux rebelles en Syrie.

La Turquie a pris un grand rôle dans cet accord conclu selon le même journaliste au début de l'année 2012. En septembre de cette même année la Turquie doit faire face au retrait des Etats-Unis de cette stratégie suite à la mort à Benghazi du consul américain. Erdoğan n'ayant pas réussi à empêcher le revirement d'Obama concernant les frappes en Syrie, il est confronté à un abandon de la part de ses alliés alors qu'il est toujours plus soucieux de tirer bénéfice de la situation en renversant le régime des Assad au profit d'un gouvernement islamiste allié.

En mars dernier la Turquie abattait un avion syrien alors que ce dernier passait la frontière à la poursuite des rebelles. L'attaque militaire est envisagée de plus en plus sérieusement, surtout dans un contexte d'instabilité interne. La population est divisée quant au rôle de la Turquie dans le conflit syrien. Mais il est certain qu'il existe une réelle frustration à l'égard des réfugiés syriens qui seraient 600.000 selon l'ONU. Des régions comme celle de Hatay dans le sud de la Turquie ont été bouleversées par l'afflux des réfugiés qui amènent avec eux des tensions communautaires et politiques.

Lancé dans une escalade qu'il ne peut enrayer, Erdoğan cherche aujourd'hui les solutions qui lui permettraient d'étendre son influence comme il le souhaiterait, il est prêt pour cela à soutenir des organisations reconnues comme terroristes. Il doit alors assumer la confrontation avec l'Iran et la Russie, l'opposition d'une grande partie des Turcs, et ce avec des alliés, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni notamment, qui sont de plus en plus en retrait.

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