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Mais en fait, à quoi sert le moussem de Tan Tan?

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CULTURE - À quoi sert le moussem de Tan Tan? La même question avait été posée dans un article que j'avais publié en 2009. Huit ans après, je la repose. Un esprit chafouin aurait vite répondu: "à rien", mais ce ne serait que plaisanterie de sa part. Pourtant, on serait bien en mal de lui apporter une réponse définitive. À quoi sert le moussem? À faire la fête et à voir des vedettes?

Même si le moussem se distingue du festival par le fait qu'il "est un regroupement défini dans l'espace et dans le temps autour de la célébration d'un siyyed", alors que "le festival est une manifestation festive" (Ziou Ziou, 2016), tous deux sont des événements culturels ayant pour but la valorisation d'un patrimoine ou l'animation d'un site patrimonial et la dynamisation de l'activité touristique.

Le festival ou le moussem sont des moments de relecture du territoire qui permettent à la population de se réapproprier son espace de vie. En Europe, beaucoup de territoires tirent un grand profit de l'événementiel (avantages économiques considérables) qui permet la revitalisation du territoire en mettant en valeur ses atouts socio-économiques et ses spécificités naturelles et culturelles et permet aussi de rendre attractives ses localités.

L'événementiel s'inscrit également dans les enjeux d'aménagement du territoire. Il participe à l'organisation et à la promotion des territoires et contribue à promouvoir l'image souhaitée des villes, surtout celles exemptes d'atouts économiques ou d'avantages liés à leur position géographique et ceci en s'emparant du canal culturel.

Tout cela nous amène à nous interroger sur les effets socio-économiques du moussem de Tan Tan. La rentabilité de telles activités est souvent mesurée à l'aune des retombées économiques sur la ville et sur sa région. Dans la région de Tan Tan, la rentabilité est nulle, aucune dynamique n'est engendrée par le moussem qui pourra rejaillir sur elle. Aucun programme n'est engagé. Pourquoi?
C'est moins la présence du patrimoine et des atouts naturels que la volonté et l'imagination des acteurs locaux et des décideurs qui est déterminante. La personnalité de ces derniers joue un grand rôle. Festivals et moussems n'auront aucun impact si les élus ne sont pas personnellement investis dans des projets culturels destinés à valoriser leurs territoires.

Les manifestations culturelles des villes européennes ne seraient pas aussi connues si leurs élus n'étaient pas des amoureux de la culture. Les plus grands festivals qui connaissent le plus grand nombre de spectateurs et qui soulèvent le plus vif intérêt médiatique sont ceux d'où se dégagent des personnalités très compétentes.

La culture constitue un levier majeur pour le développement. Il existe une approche qui considère les activités culturelles en termes de filières économiques. On peut s'inspirer de la démarche des pôles d'économie du patrimoine qui ont pour objectif d'utiliser le patrimoine comme levier de développement économique. Il est parfois question de gisements patrimoniaux à exploiter.

Le développement d'un territoire fait appel à la dimension culturelle. L'impact des activités culturelles sur le développement socioéconomique des territoires n'est plus à démonter. La culture est un moyen dynamique qui sert à prendre le chemin du développement, à définir les personnalités, à relier les hommes entre eux et à impulser le progrès.

La population de Tan Tan a signifié clairement son souhait de mettre en valeur les potentialités et les atouts touristiques de la ville ainsi que son patrimoine culturel. C'est la prise de conscience que pour mieux vivre, au lieu d'attendre les bienfaits de l'Etat-providence, il faut puiser dans les ressources et la culture locales. Normalement, cela devait être la finalité de ce moussem... Mais hélas!

Si les élus des villes européennes sont à l'origine de la réussite des événements culturels, nos élus et décideurs dont l'incompétence créative est absolue, profitent au contraire de l'organisation de ces manifestations pour acquérir une certaine notoriété ou l'utilisent à des fins politiques... Allez comprendre!

Le patrimoine culturel et naturel de Tan Tan constitue une richesse dont la mise en valeur impose aux acteurs locaux des responsabilités et suppose un certain degré de compétence afin que ce patrimoine devienne un facteur déterminant de développement. Cette mise en valeur devrait être envisagée comme l'un des principaux aspects de l'aménagement du territoire et de la planification locale.

Différentes questions essentielles se posent: le moussem de Tan Tan dans sa 13ème édition qui a eu lieu du 5 au 10 mai, a-t-il réussi son pari? Y a-t-il des résultats concrets? En 2009, la réponse était sans aucune ambiguïté et elle l'est toujours en 2017: négative.

Si le moussem constitue la première source de publicité de la ville assurant sa promotion, toutefois, ce "coup de projecteur" n'engendre pas la découverte des lieux touristiques de l'arrière pays et ne débouche pas sur des choix de séjours postérieurs. Pire encore, le moussem en tant qu'événement culturel ne favorise aucune implication des habitants pouvant développer chez eux de nouvelles formes de convivialité et renforcer leur conscience citoyenne.

Le moussem est censé associer la musique à la découverte touristique du territoire dans lequel la musique anime le lieu, et le lieu permet une écoute particulière de la musique. À Tan Tan, les stars sont là et chaque année, la couverture médiatique de ces présences prend un peu plus de place. On préfère des têtes d'affiches connues venues de l'étranger ou des nationaux qui viennent remplir leurs poches, car l'essentiel est de remplir les arènes dans une ville où l'état des infrastructures et des services de base (hôpitaux, routes, éclairage, espaces verts, etc.) est pitoyable.

Selon la Fondation Almouggar, qui est chargée de préserver et de valoriser le Moussem de Tan Tan, ce dernier "vise à contribuer à la préservation et à la valorisation du patrimoine culturel du Maroc saharien constitué de l'héritage hassani, composante fondamentale de l'identité marocaine". Un discours qui contraste avec le vide culturel et l'absence de toute structure permettant la promotion de la culture locale (musée, médiathèque, etc.).

Alors pourquoi est-on dans l'incapacité de faire valoir notre patrimoine matériel et immatériel, tout en les mettant au service de la renaissance économique, sociale et culturelle de la ville? Est-ce parce que la société civile n'a pas encore atteint le degré de maturité lui permettant de comprendre les enjeux d'un tel événement? Ou parce que les élus locaux et les décideurs n'ont ni l'expérience ni le niveau requis pour organiser un événement de cette ampleur et qu'ils sont mal formés aux méthodes de diagnostic territorial? Il convient ici de pointer du doigt la mauvaise gouvernance, l'incompétence et l'amateurisme comme responsables de cet échec.

Une fois encore, Tan Tan a raté une occasion rêvée de renouer avec le développement, alors que la réussite du moussem peut générer toute une myriade d'actions en faveur du territoire, relancer l'activité touristique et booster cette destination, surtout que le moussem est inscrit au patrimoine de l'humanité. Cette reconnaissance par l'UNESCO est un plus pour la visibilité de la ville et constitue un argument de marketing territorial qui peut apporter beaucoup à Tan Tan, cette ville dont le nom est associé au problème du Sahara marocain qui a chamboulé l'environnement géopolitique. En fait, c'est dans cette petite bourgade que le mouvement embryonnaire du front Polisario a vu le jour dans les années 1970, initié par un groupe d'étudiants de la ville.

Moi-même enfant de cette ville, je ne peux que témoigner de l'énorme frustration et déception de la population locale face à l'impact négatif de cet événement qui commence à lasser. Le moussem est une arme à double tranchant, soit il participe au développement socio-économique de la ville, soit il continue à exacerber les frustrations par son échec. Mais il n'est jamais trop tard pour faire de cet échec un tremplin et non un naufrage et le transformer en une expérience puis en réussite, sauf si la finalité du moussem est autre que le développement socio-économique.

Dans son article publié dans le New York Times le 7 Septembre 2008, A. O. Scott reformulait la question initiale: il se s'agit pas de savoir "à quoi servent les festivals", mais "à qui sont-ils destinés?" Là est la clé.

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