POLITIQUE - Est-il possible d'édifier une démocratie véritable dans un pays musulman, rongé par l'analphabétisme et dépourvu de classe moyenne? Le Maroc se présente au monde comme un pays résolument engagé dans la modernité mais nous savons tous que le marketing a ses limites. Un pays ne peut se limiter à un slogan. A un moment donné, il faut bien démontrer que le discours correspond peu ou prou à la réalité.
Est-ce que la démocratie peut coexister avec une société où règnent l'ignorance et l'incivisme? Un gros tiers de la population est encore analphabète. Une femme sur deux ne sait ni lire ni écrire. En milieu rural, ces chiffres sont encore plus calamiteux: sept femmes sur dix ne savent ni lire ni écrire dans les campagnes marocaines.
A cet état des lieux catastrophique, il faut ajouter la faillite de notre système éducatif qui est devenu une immense usine spécialisée dans la destruction du savoir. On y entrepose les enfants des pauvres et de la classe moyenne, on les expose à des programmes et des méthodologies nocives pour l'intelligence et l'éveil de l'esprit, puis on leur met dans la tête que réussir son lycée revient à obtenir 18 sur 20 au baccalauréat. Résultat: plusieurs élèves ne savent pas écrire une rédaction; les classements de l'UNESCO rappellent sans cesse que nos lycéens manquent de curiosité et de sens de l'analyse; plusieurs professeurs participent au "grand théâtre" des heures supplémentaires qui n'est rien d'autre qu'un racket des parents d'élèves solvables qui veulent que leurs chérubins obtiennent leur baccalauréat coûte que coûte. S'en suivent bien évidemment les innombrables scandales de triche massive aux examens qui sont devenus une marque de fabrique de l'école publique. Et ceux qui le peuvent inscrivent leurs enfants dans les écoles privées (sont-elles vraiment meilleures que le secteur public?) et les établissements étrangers.
Dans ces conditions, les élections au Maroc sont une question d'argent. Un sport pour notables et hommes d'affaires. Il faut pouvoir aligner plusieurs millions de dirhams pour espérer une investiture. L'électeur se vend et les partis politiques sont les derniers à s'en offusquer. De toutes façons, une grande partie des électeurs n'est sensible à aucune idéologie car elle ne sait ni lire ni écrire et encore moins réfléchir d'une manière autonome (conséquences de l'apprentissage par cœur et du culte stupide voué aux mathématiques). Il y a une exception cependant: le PJD semble être le seul parti qui s'adresse aux esprits des électeurs et non à leur poche. Bien que je combatte les idées de ce parti, je dois lui reconnaitre cette grande qualité.
Est-ce qu'une démocratie peut se passer de la classe moyenne? Le meilleur stabilisateur d'une démocratie est une classe moyenne nombreuse et en expansion. Dans une démocratie véritable, les mouvements d'humeur du corps électoral sont captés par des partis politiques responsables et qui les relayent au niveau du Parlement et de l'Exécutif. On n'incendie pas les bus parce que le prix du ticket a augmenté, on fait le siège de la permanence de son député. Sans classe moyenne, la démocratie subit le chantage de la rue et se donne au plus offrant c'est-à-dire à l'oligarchie. Telle est l'histoire de l'Amérique latine où la classe moyenne est laminée par un système économique qui concentre les richesses aux mains d'une micro-élite.
Est-ce qu'une démocratie peut prospérer dans un pays musulman? Nos lois revendiquent l'inégalité entre les hommes et les femmes. En matière d'héritage, une sœur reçoit moitié moins que son frère et une mère le huitième du patrimoine total de son mari. Il me semble extrêmement difficile de construire une démocratie digne de ce nom si le principe d'Egalité (tous les citoyens sont égaux en statut et en droit) est ainsi bafoué. Saviez-vous que pour établir un certificat d'hérédité, il faut réunir douze hommes adultes? Autrement, il faut trouver 24 femmes car la signature d'une citoyenne vaut moitié moins que celle d'un citoyen (peu importe qu'il soit analphabète ou repris de justice).
Je ne dis pas que l'islam est incompatible avec la démocratie. Ce sont deux notions de nature différente. La démocratie occidentale a deux siècles tout au plus (l'Espagne n'a connu la démocratie qu'en 1978) alors que l'islam a 1400 ans. L'expérience montre qu'aucun pays musulman n'est vraiment démocratique. Le cas tunisien est prometteur mais encore instable. Quant à la Turquie, il s'agit d'un pays laïc où la Constitution est au-dessus du Coran. Le Pakistan organise régulièrement des élections mais la violence politique gâche tout. La démocratie indonésienne mérite d'être étudiée de près même si les tensions sont vives entre la Chariah et le respect des droits humains.
Dans un pays comme le Maroc, c'est à la démocratie de s'adapter à l'islam. Ce n'est pas une tâche facile car la démocratie a besoin d'une séparation plus ou moins parfaite entre la religion et l'Etat. La gestion communale semble être le laboratoire idéal pour tester une démocratie véritable en terre d'islam. Au niveau d'une municipalité voire d'une région, il n'y pas beaucoup d'espace pour les prises de position dogmatiques: il faut résoudre les problèmes pratiques de tous les jours et s'assurer que l'Etat est au service du corps social et non l'inverse. C'est peut-être à ce niveau qu'il faut porter tous nos efforts.
Est-ce qu'une démocratie peut exister sans élites engagées? Les évènements d'Al Hoceima (et ceux de Laâyoune en 2010) démontrent que nos élus et notre société civile ne servent pas à grand-chose. Dès que les choses deviennent sérieuses, ils courent tous se réfugier au ministère de l'Intérieur pour quémander l'envoi d'un wali. Et c'est toujours un haut fonctionnaire qui désamorce les crises d'ordre politique et social au Maroc. Nous marchons sur la tête. A Al Hoceima, il aurait fallu que les députés, les élus de la région voire le Premier ministre aillent à la rencontre des citoyens. A quoi servent les élections si les porteurs d'un mandat électif ont peur de faire un tour en ville? A quoi servent les millions de dirhams versés aux ONGs si elles ne peuvent pas canaliser la colère de jeunes désœuvrés qui veulent brûler les résidences de la police?
Les élites marocaines sont trop occupées à faire de l'argent. Ce n'est pas un problème en soi sauf que le Maroc n'est pas la Catalogne ni la Californie. On a encore besoin d'élites pour éclairer la société et donner du sens. Il faut expliquer aux gens le chemin parcouru et les défis à venir. Autrement, ils chercheront leurs explications sur les chaînes wahhabites et sur Facebook. Nous en sommes arrivés au point où, pour un internaute marocain sur deux, Facebook est devenu la seule source d'information. C'est dire le discrédit de la parole venue d'en haut, celle émise par les chaînes officielles et les journaux. Cela ne semble préoccuper personne. Notre élite semble avoir fait sien le slogan suivant: "Enrichissez-vous et n'oubliez-pas de faire la Omra". Triste programme.
Faut-il désespérer pour autant? Non. Il faut revenir à l'essentiel. Si on ne peut pas devenir une véritable démocratie, soyons au moins un pays qui respecte la dignité humaine. Ce qui compte c'est instaurer un système et une culture qui garantissent réellement les droits de l'Homme. Telle est la vraie révolution qui nous attend et qui n'a pas encore eu lieu. Le droit de voter ou de manifester ne vaut rien si l'école abêtit, si l'hôpital tue au lieu de sauver, si le juge se laisse acheter, si le mari bat sa femme en toute impunité... L'injustice est le compagnon le plus fidèle de la condition humaine au Maroc. Ce n'est pas une injustice d'Etat, une politique voulue d'en haut. C'est plus grave: les Marocains se maltraitent les uns les autres sur la route, dans les relations interpersonnelles, en entreprise, en couple...
Le Maroc a de la chance malgré tout. La monarchie fait le boulot que les élites rechignent à entreprendre. Elle garantit un certain niveau de liberté et de vivre-ensemble. Les rares avancées enregistrées sur le chemin des droits de la femme sont au crédit de la monarchie. Ne vous méprenez-pas avec la fausse modernité du Maroc. Si vous trouvez 10.000 personnes pour marcher au nom de l'égalité Homme-Femme, il y en aura un million pour battre le pavé au nom de la chariah. Seule la monarchie a la légitimité et la capacité d'infléchir le cours des choses. Aidons-la! Exerçons le magistère légitime des élites: produire des discours. Faire de l'argent, c'est bien mais jusqu'à preuve du contraire les BMW ne volent pas. Pour rouler, elles ont besoin de routes praticables et de villes vivables, c'est à cela que servent des élites.
Est-ce que la démocratie peut coexister avec une société où règnent l'ignorance et l'incivisme? Un gros tiers de la population est encore analphabète. Une femme sur deux ne sait ni lire ni écrire. En milieu rural, ces chiffres sont encore plus calamiteux: sept femmes sur dix ne savent ni lire ni écrire dans les campagnes marocaines.
A cet état des lieux catastrophique, il faut ajouter la faillite de notre système éducatif qui est devenu une immense usine spécialisée dans la destruction du savoir. On y entrepose les enfants des pauvres et de la classe moyenne, on les expose à des programmes et des méthodologies nocives pour l'intelligence et l'éveil de l'esprit, puis on leur met dans la tête que réussir son lycée revient à obtenir 18 sur 20 au baccalauréat. Résultat: plusieurs élèves ne savent pas écrire une rédaction; les classements de l'UNESCO rappellent sans cesse que nos lycéens manquent de curiosité et de sens de l'analyse; plusieurs professeurs participent au "grand théâtre" des heures supplémentaires qui n'est rien d'autre qu'un racket des parents d'élèves solvables qui veulent que leurs chérubins obtiennent leur baccalauréat coûte que coûte. S'en suivent bien évidemment les innombrables scandales de triche massive aux examens qui sont devenus une marque de fabrique de l'école publique. Et ceux qui le peuvent inscrivent leurs enfants dans les écoles privées (sont-elles vraiment meilleures que le secteur public?) et les établissements étrangers.
Dans ces conditions, les élections au Maroc sont une question d'argent. Un sport pour notables et hommes d'affaires. Il faut pouvoir aligner plusieurs millions de dirhams pour espérer une investiture. L'électeur se vend et les partis politiques sont les derniers à s'en offusquer. De toutes façons, une grande partie des électeurs n'est sensible à aucune idéologie car elle ne sait ni lire ni écrire et encore moins réfléchir d'une manière autonome (conséquences de l'apprentissage par cœur et du culte stupide voué aux mathématiques). Il y a une exception cependant: le PJD semble être le seul parti qui s'adresse aux esprits des électeurs et non à leur poche. Bien que je combatte les idées de ce parti, je dois lui reconnaitre cette grande qualité.
Est-ce qu'une démocratie peut se passer de la classe moyenne? Le meilleur stabilisateur d'une démocratie est une classe moyenne nombreuse et en expansion. Dans une démocratie véritable, les mouvements d'humeur du corps électoral sont captés par des partis politiques responsables et qui les relayent au niveau du Parlement et de l'Exécutif. On n'incendie pas les bus parce que le prix du ticket a augmenté, on fait le siège de la permanence de son député. Sans classe moyenne, la démocratie subit le chantage de la rue et se donne au plus offrant c'est-à-dire à l'oligarchie. Telle est l'histoire de l'Amérique latine où la classe moyenne est laminée par un système économique qui concentre les richesses aux mains d'une micro-élite.
Est-ce qu'une démocratie peut prospérer dans un pays musulman? Nos lois revendiquent l'inégalité entre les hommes et les femmes. En matière d'héritage, une sœur reçoit moitié moins que son frère et une mère le huitième du patrimoine total de son mari. Il me semble extrêmement difficile de construire une démocratie digne de ce nom si le principe d'Egalité (tous les citoyens sont égaux en statut et en droit) est ainsi bafoué. Saviez-vous que pour établir un certificat d'hérédité, il faut réunir douze hommes adultes? Autrement, il faut trouver 24 femmes car la signature d'une citoyenne vaut moitié moins que celle d'un citoyen (peu importe qu'il soit analphabète ou repris de justice).
Je ne dis pas que l'islam est incompatible avec la démocratie. Ce sont deux notions de nature différente. La démocratie occidentale a deux siècles tout au plus (l'Espagne n'a connu la démocratie qu'en 1978) alors que l'islam a 1400 ans. L'expérience montre qu'aucun pays musulman n'est vraiment démocratique. Le cas tunisien est prometteur mais encore instable. Quant à la Turquie, il s'agit d'un pays laïc où la Constitution est au-dessus du Coran. Le Pakistan organise régulièrement des élections mais la violence politique gâche tout. La démocratie indonésienne mérite d'être étudiée de près même si les tensions sont vives entre la Chariah et le respect des droits humains.
Dans un pays comme le Maroc, c'est à la démocratie de s'adapter à l'islam. Ce n'est pas une tâche facile car la démocratie a besoin d'une séparation plus ou moins parfaite entre la religion et l'Etat. La gestion communale semble être le laboratoire idéal pour tester une démocratie véritable en terre d'islam. Au niveau d'une municipalité voire d'une région, il n'y pas beaucoup d'espace pour les prises de position dogmatiques: il faut résoudre les problèmes pratiques de tous les jours et s'assurer que l'Etat est au service du corps social et non l'inverse. C'est peut-être à ce niveau qu'il faut porter tous nos efforts.
Est-ce qu'une démocratie peut exister sans élites engagées? Les évènements d'Al Hoceima (et ceux de Laâyoune en 2010) démontrent que nos élus et notre société civile ne servent pas à grand-chose. Dès que les choses deviennent sérieuses, ils courent tous se réfugier au ministère de l'Intérieur pour quémander l'envoi d'un wali. Et c'est toujours un haut fonctionnaire qui désamorce les crises d'ordre politique et social au Maroc. Nous marchons sur la tête. A Al Hoceima, il aurait fallu que les députés, les élus de la région voire le Premier ministre aillent à la rencontre des citoyens. A quoi servent les élections si les porteurs d'un mandat électif ont peur de faire un tour en ville? A quoi servent les millions de dirhams versés aux ONGs si elles ne peuvent pas canaliser la colère de jeunes désœuvrés qui veulent brûler les résidences de la police?
Les élites marocaines sont trop occupées à faire de l'argent. Ce n'est pas un problème en soi sauf que le Maroc n'est pas la Catalogne ni la Californie. On a encore besoin d'élites pour éclairer la société et donner du sens. Il faut expliquer aux gens le chemin parcouru et les défis à venir. Autrement, ils chercheront leurs explications sur les chaînes wahhabites et sur Facebook. Nous en sommes arrivés au point où, pour un internaute marocain sur deux, Facebook est devenu la seule source d'information. C'est dire le discrédit de la parole venue d'en haut, celle émise par les chaînes officielles et les journaux. Cela ne semble préoccuper personne. Notre élite semble avoir fait sien le slogan suivant: "Enrichissez-vous et n'oubliez-pas de faire la Omra". Triste programme.
Faut-il désespérer pour autant? Non. Il faut revenir à l'essentiel. Si on ne peut pas devenir une véritable démocratie, soyons au moins un pays qui respecte la dignité humaine. Ce qui compte c'est instaurer un système et une culture qui garantissent réellement les droits de l'Homme. Telle est la vraie révolution qui nous attend et qui n'a pas encore eu lieu. Le droit de voter ou de manifester ne vaut rien si l'école abêtit, si l'hôpital tue au lieu de sauver, si le juge se laisse acheter, si le mari bat sa femme en toute impunité... L'injustice est le compagnon le plus fidèle de la condition humaine au Maroc. Ce n'est pas une injustice d'Etat, une politique voulue d'en haut. C'est plus grave: les Marocains se maltraitent les uns les autres sur la route, dans les relations interpersonnelles, en entreprise, en couple...
Le Maroc a de la chance malgré tout. La monarchie fait le boulot que les élites rechignent à entreprendre. Elle garantit un certain niveau de liberté et de vivre-ensemble. Les rares avancées enregistrées sur le chemin des droits de la femme sont au crédit de la monarchie. Ne vous méprenez-pas avec la fausse modernité du Maroc. Si vous trouvez 10.000 personnes pour marcher au nom de l'égalité Homme-Femme, il y en aura un million pour battre le pavé au nom de la chariah. Seule la monarchie a la légitimité et la capacité d'infléchir le cours des choses. Aidons-la! Exerçons le magistère légitime des élites: produire des discours. Faire de l'argent, c'est bien mais jusqu'à preuve du contraire les BMW ne volent pas. Pour rouler, elles ont besoin de routes praticables et de villes vivables, c'est à cela que servent des élites.
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