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La start-up de Jomâa

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La gestion calamiteuse des intérêts économiques nationaux des gouvernements de la troïka a conduit notre pays à connaître une crise économique sans précédent depuis son indépendance.

Aujourd'hui, les Tunisiens réalisent que les promesses électorales d'Ennahdha quant à la création de 500.000 emplois ont été sciemment mensongères. Ils réalisent que les déclarations d'Elyes Fakhfakh sur l'état de nos finances publiques, sur le coût de la vie et sur les perspectives économiques de notre pays ont été mystificatrices. C'est ainsi qu'à l'issue de ce qu'on a convenu d'appeler le dialogue national, on a choisi de faire du neuf avec du vieux en nommant comme nouveau président du gouvernement un ministre de l'ancien gouvernement.

"Responsable, mais pas coupable"

En entamant ses nouvelles fonctions, Monsieur Jomâa a choisi de tenir un langage de vérité en ce qui concerne l'état de délabrement de l'économie tunisienne. Avait-il réellement le choix quand on sait qu'il compte solliciter les Tunisiens, qui sont déjà au bout du rouleau, pour un emprunt national? Il faut dire que la technique de communication était un peu trop flagrante. Il fait appel à notre esprit citoyen d'une part et nous rappelle les menaces terroristes qui pèsent sur nous d'autre part. Nous l'avons tous compris, Monsieur Jomâa doit travailler dans l'urgence pour remplir les caisses que les anciens gouvernements, dont il a été membre, ont vidées. Désormais, la Tunisie, aussi, a son "responsable, mais pas coupable".

Le gouvernement Jomâa ne cesse de répéter que la politique de relance de l'économie n'est nullement imposée par le FMI ou la Banque mondiale, sans doute pour éviter tout affrontement avec la gauche tunisienne. Or, quand on pousse le président du gouvernement dans ses retranchements, comme ce fut le cas lors de l'interview publiée le 4 avril par le Washington Post (A Tunisian leader's hope for democracy), M. Jomâa finit par avouer que le pack de stabilité du FMI jouerait en notre faveur, faisant ainsi siens les vœux des principaux bailleurs de fonds.

Il serait peut-être utile de rappeler aux non-économistes que les principaux éléments du pack de secours du FMI consistent à:

  1. Privatiser des entreprises publiques et réduire l'intervention de l'Etat,

  2. Dévaluer la monnaie nationale,

  3. Réduire les dépenses publiques (jugées inflationnistes),

  4. Lever des impôts,

  5. Déréguler et libéraliser les marchés,

  6. Réduire les tarifs douaniers et le protectionnisme,

  7. Promouvoir les exportations et ouvrir l'économie au libre-échange et aux investissements étrangers.


La Tunisie a mis en application les mesures 5 à 7 bien avant le 14 janvier 2011. Voyons donc en quoi les points 1 à 4 pourraient sortir l'économie tunisienne de son marasme.

Le premier point soutient que l'Etat doit se focaliser sur ses fonctions régaliennes. Donc, il doit réduire ses interventions et favoriser l'investissement privé. Comme il se trouve que la plupart des entreprises publiques tunisiennes sont déficitaires et que l'Etat n'a pas les moyens de les assainir dans le court terme, il n'est pas opportun de les privatiser pour le moment, du moins celles qui ne sont pas rentables.

Le deuxième volet du pack de secours du FMI a trait à la dévaluation de la monnaie nationale. Il a pour objectif de favoriser les exportations et d'alléger par là même le déficit de la balance commerciale (qui est mesuré par la valeur des biens et des services exportés moins la valeur des biens et des services importés). Durant les années de gouvernance de la troïka, le dinar a perdu plus de 12% de sa valeur et cela n'a amélioré en rien notre balance commerciale. C'est d'ailleurs tout le contraire qui s'est produit. On peut toujours évoquer l'argument sécuritaire pour justifier le déficit, mais la menace terroriste est encore de mise selon les propres avertissements du président du gouvernement.

La troisième mesure est relative à la réduction des dépenses publiques. Théoriquement, elle peut être menée sur deux fronts en Tunisie. Le premier consiste à réduire les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire à diminuer la valeur globale des traitements des fonctionnaires. Nous y reviendrons. Le second consiste à réduire le poids de la caisse de compensation. Ce choix a déjà été effectué par les anciens gouvernements de la troïka qui ont notamment réduit les subventions aux carburants. Le gouvernement actuel a annoncé sa volonté de poursuivre cette politique.

La quatrième recommandation du pack de secours du FMI consiste à lever plus d'impôts. Là aussi, le précédent gouvernement s'était engagé sur cette voie, notamment avec la tentative d'augmentation de la vignette automobile. L'actuel gouvernement ne cache nullement sa volonté de lever plus d'impôts au nom de l'intérêt national, nous annonce-t-il.

Le problème est que l'augmentation de l'impôt confiscatoire, ou l'augmentation de l'impôt tout court, est un facteur de diminution de la demande globale (du revenu national). Cette politique fiscale ne peut être efficace que si elle est accompagnée par une réduction de la dépense publique. La question que l'on se pose alors et que l'on pose au président du gouvernement et à son ministre de l'Economie est simple et exige une réponse aussi simple: seriez-vous prêt à geler les emplois créés par la troïka pour les siens au sein de la fonction publique - principale cause d'augmentation des dépenses publiques - ou alors allez-vous demander au peuple de Tunisie de combler le trou de la caisse de compensation et de payer les traitements des recrutements partisans dans l'administration?

Votre réponse, Monsieur le président du gouvernement, nous indiquera clairement si vous êtes là pour sauver la troïka ou si vous êtes là pour sauver la Tunisie, parce que, désormais, les intérêts de l'économie tunisienne et ceux de la troïka ne peuvent plus se croiser.

Monsieur le président du gouvernement, votre start-up n'a ni vision, ni politique. Vous auriez dû savoir qu'une entreprise et encore plus une nation ne produit rien sans le facteur travail. Le pack de secours du FMI, que l'on vous a vendu pour des clopinettes, n'incorpore pas le capital humain. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a échoué partout où il a été appliqué dans les pays en développement. Le capital humain - nos jeunes - sont la principale richesse de notre pays. Vous ainsi que votre ministre de l'économie avez tort de croire que l'exploitation du phosphate est une urgence. Le phosphate ne se dépréciera pas autant que les diplômes de nos jeunes si ceux-ci ne sont pas intégrés de toute urgence dans la vie active. Les jeunes qui ne travaillent pas n'admettent pas de revenu permanent. De ce fait, leur consommation est en deçà de ce qu'elle devrait être, leur contribution au revenu national est quasiment nulle et leur contribution aux recettes de l'Etat est proportionnelle à leur maigre consommation. Mettre nos jeunes au travail, c'est non seulement élargir le nombre de contribuables, mais aussi relancer l'économie par la consommation puisque ces jeunes disposeront enfin d'un revenu.

Mais quel type de start-up est cette entreprise qui laisse 43% de ses jeunes diplômés au chômage? Votre politique de l'emploi se limiterait-elle à laisser prospérer l'économie parallèle?

Les autres volets de la politique économique de l'actuel gouvernement sont tout aussi inquiétants. Il en est ainsi de la politique énergétique telle qu'elle a été annoncée par le ministre de l'Industrie Kamel Bennaceur.

Lors de l'interview accordée à Maghreb Emergent le 31 mars dernier, Bennaceur fait une déclaration alarmiste selon laquelle "nous avons intérêt à développer nos propres ressources, nous n'avons pas d'autres solutions". Ainsi, toujours sous le prétexte de la détérioration de nos finances publiques, le gouvernement Jomâa ne masque plus sa volonté d'exploiter le gaz de schiste. Soit! Les puits de gaz de schiste du Marcellus en Pennsylvanie ont besoin d'une moyenne de 20,8 millions de litres d'eau par puits. Jusqu'au mois de mai 2010, 10.000 puits environ y ont été forés et plus de 2.000 autres permis de forage supplémentaires ont été délivrés pour une production qui a culminé à 3,1 milliards de pieds cube en 2013. Il paraît que le potentiel en Tunisie est de 18 milliards de pieds cube. Que comptez-vous assécher pour extraire ce gaz après avoir asséché nos comptes bancaires et nos finances publiques?

En ce qui concerne la "politique monétaire", on a beaucoup de mal à vous suivre. A quelques jours d'intervalle, le gouverneur de la Banque Centrale s'est félicité de l'appréciation du dinar et s'est alarmé quant au déficit de la balance commerciale. L'unique appréciation du dinar a été observée entre le 15 décembre 2013 et le 2 février 2014. Elle est due à des facteurs exogènes, en l'occurrence les crédits internationaux, qui sont venus secourir nos réserves en devises étrangères. En revanche, depuis la prise de fonction du nouveau gouvernement, le dinar a chuté par rapport à l'euro bien que cette baisse ne soit pas statistiquement significative.

Quant à l'aggravation du déficit commercial sur les deux premiers mois de l'année, que le gouverneur semble avoir réalisé à posteriori, elle était parfaitement prévisible. En effet, comme le dinar sur cette période a perdu de sa valeur par rapport à la même période de l'année précédente, il aurait fallu augmenter le volume des exportations et/ou diminuer celui des importations pour améliorer ou garder le niveau du déficit à sa valeur de 2012 sur la même période.

A propos de la politique budgétaire et plus précisément à propos du déficit de la balance commerciale, on sait que les prix des biens alimentaires devraient augmenter sur les marchés internationaux contrairement à ce qui a été annoncé au ministre de l'Economie lors du dernier débat télévisé auquel il a pris part sur Nessma. Nous aurions aimé entendre Hakim Ben Hamouda démentir l'information qui lui a été donnée, histoire d'être rassurés quant à ses connaissances de l'économie mondiale et ses implications sur la nôtre. Il suffirait de visiter le site du FAO et de se rappeler que l'Ukraine est l'un des plus grands producteurs de céréales au monde pour réaliser que les prix des biens alimentaires ont déjà augmenté cette année. De son coté, le Financial Times a annoncé récemment une hausse des prix du bétail, mais pas seulement, sur les marchés internationaux. Sachant que nous n'assurons pas notre autosuffisance alimentaire et que nous n'avons pas de stock stratégique en la matière, allez-vous encore partir sur les marchés spots pour importer au prix fort ce qui sera consommé dans l'année? Vous allez de ce fait alourdir le déficit de la balance commerciale ainsi que la charge de la caisse de compensation!

L'économie a besoin de confiance avant tout. Il convient à ce stade de rappeler les éléments suivants:

  • Les Tunisiens ont subi pendant les années de gouvernance de la troïka une perte de niveau de vie sans précédent due à une inflation non maitrisée et à une gestion irresponsable de l'économie nationale.

  • Comme mentionné plus haut, les Tunisiens paient les traitements de recrutements partisans au sein de la fonction publique.

  • L'actuel gouvernement a annoncé aux Tunisiens qu'ils paieraient plus d'impôts.

  • Les Tunisiens seraient appelés à payer des indemnités partisanes et totalement farfelues.

  • Les enfants tunisiens seront mis à contribution puisqu'ils seront appelés à rembourser des crédits dont ils n'auront nullement bénéficié. Il faut rappeler qu'un gouvernement ne devrait endetter les générations futures que si le taux d'intérêt des crédits contractés est inférieur au taux de rendement des projets pour lesquels lesdits crédits seraient employés. Or, pendant les années de gouvernance de la troïka, l'Etat a endetté les générations futures pour des dépenses de fonctionnement.


Monsieur le président du gouvernement, vous avez émis l'idée du lancement d'un emprunt national. Pouvez-vous apporter la preuve aux Tunisiens qu'il ne s'agit pas là encore d'une redistribution des revenus de ces Tunisiens qui ont contribué à bâtir leur pays depuis plusieurs décennies vers les partisans de la troïka qui n'a fait que le ruiner?

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