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Histoire et littérature francophone de Tunisie avec Hédi Bouraoui

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Nous terminons cette série d'articles sur la littérature francophone de Tunisie avec un roman de facture anthropologique, "Retour à Thyna" de Hédi Bouraoui, citoyen tunisien résidant au Canada.

A côté de très belles images, il y a des procédés et des formules qui peuvent paraître peu convaincants: la gent féminine, créneaux au lieu de merlons (erreur récurrente). Certaines rencontres me paraissent dissonantes telles que la formule, à mon sens peu heureuse, de "subvertir ces subterfuges". Ailleurs, il parle de "la population qui avait subverti inconsciemment l'unicité de la Mosquée en Médina et de l'Eglise en Bled Essouri". Il y a encore cette formule quelque peu sophistiquée "la talonner de tout le poids de son talent dramatique". A ces quelques remarques, j'ajoute "la vicissitude de l'air". Une formule que je ne ferais pas mienne. Mais là, on est dans le subjectif: la forme et le choix des mots relèvent de l'auteur qui est, certes, souverain. Mais la souveraineté ne saurait donner le droit de tordre le cou aux règles du langage.

Par ailleurs, pourquoi travestir Hédi Chaker sous le pseudonyme Hédi Faker? Fallait-il vraiment jouer sur l'ambiguïté prosaïque et quelque peu trivale entre Combattant suprême et Comédien suprême? Cela me paraît injuste à l'égard d'une figure emblématique de la Tunisie contemporaine. Pour ma part, je trouve la formule incongrue, voire partisane et abusive. La Tunisie, tout entière vient de rendre hommage à Bourguiba, l'un des plus grands fondateurs de la Tunisie moderne. Certains y reconnaissent le géniteur de la Révolution de 2011.

En revanche, il y a de très belles images, dont j'ai retenu ce tableau qui présente Zitouna dans toute sa splendeur féminine.

"Comme à l'accoutumée, les barques de pêche arrivent pour décharger leur cargaison, ballet coloré et odorant d'une marée toute fraîche. Parmi elles, une petite embarcation blanche, voile hissée, profite d'un vent de mer pour se glisser parmi les autres. C'est enfin l'aube. Qui n'a vu le soleil se lever sur Taparura, avec sa percée des ténèbres sur fond rougeoyant, n'a rien vu ! En djellaba bleue, bordée de broderies blanches, coiffée d'une Koufia décorée de pièces d'or et de perles, takrita de soie aux motifs géométriques blanc et rouge sombre autour du cou, Zitouna met pied à terre sur un quai bondé. Elle est pâle".


Quelles splendeurs et quelle magnificence!

Voilà donc une œuvre qui interpelle et par l'absence et par la présence. Certes peu de place aux couleurs et aux descriptions, mais des faits mis en œuvre dans leur matérialité objective, quelques symboles interactifs et des fantasmes. Dans sa présentation politique et dans ses rapports avec Sfax, l'auteur se comporte en juge très sévère. On peut ne pas adopter ses opinions tranchées et encore moins ses verdicts. Mais dans l'âme de Hédi Bouraoui, il y a une flamme entretenue par l'amour du pays et le désir de le voir atteindre le changement au profit de tous. La Révolution a répondu et continuera de répondre à ses ambitions fort légitimes: retour aux sources et renaissance. Ensemble, nous pouvons relever les défis.

Au terme de cette intervention, je me permettrais d'invoquer les splendeurs de la littérature francophone de Tunisie. Par deux fois, ce pays eut à nommer le continent dont il occupe le Nord-Est. Par ailleurs, la Tunisie peut, à juste titre, se prévaloir d'un riche patrimoine linguistique. Ses enfants, hommes et femmes, avaient pu s'exprimer et créer dans l'une ou l'autre des grandes langues méditerranéennes par eux conquises, adaptées et adoptées sans méconnaitre les racines ni les traditions. Après Carthage et Rome, l'Ifriquia s'impose fièrement mais sans démesure: la Tunisie se reconnaît arabe et musulmane, phénomène dont la portée politique, religieuse et socio-culturelle continue de sous-tendre le présent et l'avenir.

Toutefois, l'arabité tunisienne d'aujourd'hui ne rejette guère ni ses multiples spécificités ni les apports de l'histoire et reconnaît à la francophonie sa participation à la genèse de sa modernité. Creuset de cultures depuis la nuit des temps, la Tunisie se reconnaît dans ceux qui avaient conçu et réalisé l'Hermaïon d'El-Guettar, la culture capsienne, les bâtisseurs des bazinas, les constructeurs des mégalithes, les tailleurs des haouanets, les deux ères de Carthage, les cavaliers et les chameliers de Kairouan et ceux qui leur succédèrent pour édifier Mahdia et redonner une âme à Tunis.

Assise sur ce socle où la berbérité fuse de partout, la Tunisie est aujourd'hui fière de son identité multiple où ses innombrables spécificités, loin de se faire meurtrières, se conjuguent pour réaliser une symphonie, dont les composantes africaine et méditerranéenne n'échapperaient qu'à ceux qui se sont choisis aveugles.

Cela étant et au-delà de toute considération, la Tunisie d'aujourd'hui, malgré la présence de nostalgiques et de certains exaltés, considère la langue française comme une source d'enrichissement et d'ouverture sur le monde. C'est dans cette perspective que je placerais la littérature tunisienne de langue française qui, désormais, a sa place dans les archives et la mémoire de la Nation. Il s'agit d'une littérature dont les acteurs ou plutôt les agitateurs veulent se situer et situer leur pays dans l'espace et dans le temps et au sein de la culture universelle.

C'est notamment l'attitude de certains écrivains tunisiens qui vivent loin de la patrie, ceux qui ont choisi de s'intégrer au pays d'accueil sans rompre les amarres avec les origines. Par l'écriture, ils cherchent à se connaître pour se faire reconnaître en s'accrochant à l'histoire, au patrimoine et au quotidien des leurs. Ils y prennent attache en confiant à l'autre qu'ils ont, eux-aussi, des racines, un pays, une patrie, qui a mérité et continue de mériter une bonne place au sein des nations.

Les œuvres de cette littérature identitaire disent toute la fierté de leurs créateurs en invoquant Carthage, Kairouan, Thyna, Taparura et biens d'autres cités prestigieuses sans méconnaître le substrat, quel qu'en soit le nom: Elyssa, Hannibal, Massinissa, Jugurtha, Tacfarinas, Sophonisbe La Kahina, etc.

N'est-ce pas une manière de psalmodier le patrimoine et d'exalter les apports de la terre d'origine à la culture universelle? N'est-ce pas une manière de dire: nous sommes originaires de Tunisie, terre bien connue par ses explorateurs, ses conquérants, ses poètes, ses théologiens, ses philosophes, ses agronomes, ses stratèges, ses femmes illustres et tous ces Africains, dont les œuvres littéraires ont été dûment présentées par Paul Monceaux au terme du XIX° siècle.

Si l'arabe est aujourd'hui notre langue nationale, le libyque avec sa multiple progéniture, le punique et le latin étaient les langues de nos ancêtres, durant des millénaires. Nous devons nous en souvenir et agir pour la Tunisie polyglotte et pour la Méditerranée.

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