S'il y a un débat en Tunisie, qu'aussi bien les partis de droite que de gauche cherchent, consciemment ou inconsciemment à occulter, c'est bien celui de la laïcité. Or il est crucial d'ouvrir ce débat car point de démocratie et de développement sans un système fondé sur la sécularisation de toutes les institutions et des lois. D'ailleurs, l'Europe aurait-elle pu se développer économiquement, politiquement, socialement et culturellement sans garantir au préalable la laïcité, en droit, comme l'exemple Français, ou dans les faits, comme l'exemple Anglais?
En effet, la laïcité est un pilier indispensable à la bonne gouvernance. C'est ce pilier qui a manqué aux initiatives révolutionnaires et avant-gardistes de Bourguiba, au lendemain de l'indépendance, en 1956. Ce Leader du mouvement de libération, farouche partisan de la sécularisation, et bien qu'il ait eu le courage d'institutionnaliser l'égalité des hommes et des femmes, a néanmoins dû concéder que la première Constitution de 1959, affirme, dans son article 1er, que l'Islam est la religion de l'Etat.
Cinquante-cinq ans plus tard et après le soulèvement populaire de Janvier 2011, personne dans l'Assemblée Nationale Constituante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution de 2014, n'a osé remettre en question cet article premier qui continu à affirmer que: "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion..."1. Ainsi, ces élus du peuple ont fait perdre à la Tunisie, l'opportunité d'ouvrir le débat sur la laïcité qui consiste en un ordre juridique et institutionnel de séparation entre la Religion et l'Etat, ce qui implique que ce sont les lois civiles qui doivent s'appliquer dans le domaine public tout en garantissant la liberté de religion des citoyens, liberté qu'ils exercent dans leur sphère privée.
Malgré cette définition claire, les partis religieux continuent d'insinuer que la laïcité est synonyme d'athéisme et de traiter de mécréant quiconque plaide l'importance de l'instituer. Or la laïcité permet le respect de la diversité des sociétés où tous les citoyens sont égaux en droit, peu importe leur religion, sexe, couleur...etc. En fait, ce qui compte ce sont les valeurs communes qui permettent aux citoyens de vivre en communauté, telles que: l'égalité, la dignité, la justice sociale, l'intégrité, la liberté...
D'un autre côté, la Constitution de 2014, qui a réitéré que l'Islam était la religion de l'Etat, a quand même institué un article 6 qui pourrait contredire une certaine interprétation de l'article 1er. En effet, l'article 6 garantit que: "L'État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l'exercice des cultes...". Cet article 6 représente une très grande avancée car: "La liberté religieuse et la culture de la tolérance de la diversité des croyances et des opinions est une condition préalable à la démocratie parce que la démocratie n'est rien d'autre qu'un Pacte entre les peuples à se gouverner eux même car ils sont nés avec des capacités physiques et mentales égales et avec les mêmes droits à leur propre vérité"2.
C'est dans ce contexte qu'il est important d'analyser pourquoi les différents partis politiques ne veulent pas mettre à l'ordre du jour l'importance d'établir la laïcité? Que cherchent-ils à éviter ou à réaliser? Ont-ils peur de la responsabilité que cela impliquerait? Pensent-ils mieux imposer leur pouvoir grâce à la «légitimité» qu'offre la religion au nom de laquelle ils prétendent parler?
Plusieurs raisons probables:
Le progrès et la maturité individuels et collectifs impliquent la remise en cause du statuquo et la recherche de solutions efficaces. Mais s'entêter à ne pas oser discuter de sujets tabous ne les fera pas disparaitre. D'où l'importance de poser certaines questions:
➢La religion peut-elle garantir aux Tunisien(nes) la justice sociale et assurer leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels? Permet-elle de protéger les droits des femmes et assurer l'égalité entre les femmes et les hommes aussi bien dans l'espace public que privé?
➢Le texte religieux permet-il de faire face à toutes les violences qui s'exercent quotidiennement contre les Tunisiennes dans une impunité quasi-généralisée? Comment peut-on faire face à certaines interprétations de l'Islam qui justifient cette violence et la violation de certains droits?
➢Les mouvements religieux qui proclament s'être transformés en partis civils, acceptent-ils de se réaligner sur le principe de la laïcité? Ne pas le faire compromettrait leur bonne foi et risque de prouver qu'ils ne sont pas réellement convertis en partis civils?
Conclusion
La question fondamentale à poser, six ans après le soulèvement populaire: Un parti séculier peut-il exister dans un pays qui n'est pas arrivé, soixante ans après son indépendance, à séparer l'Etat et la Religion?
Quelles chances aurait un parti séculier de réussir à rallier la masse silencieuse qui profondément appelle de ses vœux à un changement radical de la situation dans laquelle elle tente de survivre?
La non-laïcité a déjà coûté soixante ans de sous-développement, le temps est-il venu de changer de cap afin d'assurer enfin aux Tunisien(nes) développement, paix et prospérité?
Enfin, prendre la courageuse décision d'assurer la pleine jouissance de la liberté de religion, de croyance et de conscience serait-elle la preuve qu'une nouvelle culture peut prendre racine dans l'esprit et le cœur du peuple afin de rêver d'une autre Tunisie plus juste et plus équitable?
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1 - Article premier de la Constitution: "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'Arabe sa langue et la République son régime. Le présent article ne peut faire l'objet de révision".
2 - Khadija T. Moalla: "Comment promouvoir la liberté de religion et de conviction dans les pays à majorité musulmane?"- Leaders.com.tn
En effet, la laïcité est un pilier indispensable à la bonne gouvernance. C'est ce pilier qui a manqué aux initiatives révolutionnaires et avant-gardistes de Bourguiba, au lendemain de l'indépendance, en 1956. Ce Leader du mouvement de libération, farouche partisan de la sécularisation, et bien qu'il ait eu le courage d'institutionnaliser l'égalité des hommes et des femmes, a néanmoins dû concéder que la première Constitution de 1959, affirme, dans son article 1er, que l'Islam est la religion de l'Etat.
Cinquante-cinq ans plus tard et après le soulèvement populaire de Janvier 2011, personne dans l'Assemblée Nationale Constituante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution de 2014, n'a osé remettre en question cet article premier qui continu à affirmer que: "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion..."1. Ainsi, ces élus du peuple ont fait perdre à la Tunisie, l'opportunité d'ouvrir le débat sur la laïcité qui consiste en un ordre juridique et institutionnel de séparation entre la Religion et l'Etat, ce qui implique que ce sont les lois civiles qui doivent s'appliquer dans le domaine public tout en garantissant la liberté de religion des citoyens, liberté qu'ils exercent dans leur sphère privée.
Malgré cette définition claire, les partis religieux continuent d'insinuer que la laïcité est synonyme d'athéisme et de traiter de mécréant quiconque plaide l'importance de l'instituer. Or la laïcité permet le respect de la diversité des sociétés où tous les citoyens sont égaux en droit, peu importe leur religion, sexe, couleur...etc. En fait, ce qui compte ce sont les valeurs communes qui permettent aux citoyens de vivre en communauté, telles que: l'égalité, la dignité, la justice sociale, l'intégrité, la liberté...
D'un autre côté, la Constitution de 2014, qui a réitéré que l'Islam était la religion de l'Etat, a quand même institué un article 6 qui pourrait contredire une certaine interprétation de l'article 1er. En effet, l'article 6 garantit que: "L'État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l'exercice des cultes...". Cet article 6 représente une très grande avancée car: "La liberté religieuse et la culture de la tolérance de la diversité des croyances et des opinions est une condition préalable à la démocratie parce que la démocratie n'est rien d'autre qu'un Pacte entre les peuples à se gouverner eux même car ils sont nés avec des capacités physiques et mentales égales et avec les mêmes droits à leur propre vérité"2.
C'est dans ce contexte qu'il est important d'analyser pourquoi les différents partis politiques ne veulent pas mettre à l'ordre du jour l'importance d'établir la laïcité? Que cherchent-ils à éviter ou à réaliser? Ont-ils peur de la responsabilité que cela impliquerait? Pensent-ils mieux imposer leur pouvoir grâce à la «légitimité» qu'offre la religion au nom de laquelle ils prétendent parler?
Plusieurs raisons probables:
- Cacher le fait qu'ils n'ont pas de programmes économique, politique, social et culturel à proposer. Pas de stratégie vis-à-vis du terrorisme, de la contrebande, de la drogue, de l'endettement, du chômage, de la dégradation de l'environnement...Cacher aussi le fait qu'ils manquent d'imagination, de créativité et d'innovation qui auraient pu leur permettre d'offrir des solutions réelles aux défis de développement auxquels les Tunisiens sont en train de faire face.
- Focaliser sur des problèmes qui n'étaient pas à l'ordre du jour et qu'ils ont imposés au lendemain du soulèvement populaire tel que l'identité, de même que la volonté de garder les Tunisiens au niveau de "l'état tribal" selon la perspective de la "Spirale dynamique".
- Utiliser la religion afin de faciliter le recrutement des membres aussi bien parmi les éduqués que les analphabètes, les hommes que les femmes, les jeunes que les moins jeunes...
- User du moyen le plus sûr et le plus efficace pour dominer la femme en se basant sur les interprétations les plus conservatrices possibles de la Charia. Par exemple, au lendemain des soulèvements populaires dans la région Arabe, on a vite parlé de polygamie en Tunisie et en Libye et on a vu un retour en force de la pratique des mutilations génitales féminines en Égypte. De plus, le voile qui était exceptionnellement présent en Tunisie, s'est propagé, par choix ou par obligation, comme un feu de brousse et le droit au travail des femmes a été remis en cause!
- Gouverner au nom de la religion permet de ne pas rendre des comptes car qui oserait demander des comptes à ceux qui prétendent parler au nom de Dieu. De plus, certains ont voulu remettre en cause l'Etat unitaire et ont appelé à l'instauration du Califat dans le monde musulman, justifiant que des extrémistes tels que Daesh puissent commettre des atrocités au nom d'une certaine interprétation des textes religieux que personne ne reconnait, ni n'accepte.
Le progrès et la maturité individuels et collectifs impliquent la remise en cause du statuquo et la recherche de solutions efficaces. Mais s'entêter à ne pas oser discuter de sujets tabous ne les fera pas disparaitre. D'où l'importance de poser certaines questions:
➢La religion peut-elle garantir aux Tunisien(nes) la justice sociale et assurer leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels? Permet-elle de protéger les droits des femmes et assurer l'égalité entre les femmes et les hommes aussi bien dans l'espace public que privé?
➢Le texte religieux permet-il de faire face à toutes les violences qui s'exercent quotidiennement contre les Tunisiennes dans une impunité quasi-généralisée? Comment peut-on faire face à certaines interprétations de l'Islam qui justifient cette violence et la violation de certains droits?
➢Les mouvements religieux qui proclament s'être transformés en partis civils, acceptent-ils de se réaligner sur le principe de la laïcité? Ne pas le faire compromettrait leur bonne foi et risque de prouver qu'ils ne sont pas réellement convertis en partis civils?
Conclusion
La question fondamentale à poser, six ans après le soulèvement populaire: Un parti séculier peut-il exister dans un pays qui n'est pas arrivé, soixante ans après son indépendance, à séparer l'Etat et la Religion?
Quelles chances aurait un parti séculier de réussir à rallier la masse silencieuse qui profondément appelle de ses vœux à un changement radical de la situation dans laquelle elle tente de survivre?
La non-laïcité a déjà coûté soixante ans de sous-développement, le temps est-il venu de changer de cap afin d'assurer enfin aux Tunisien(nes) développement, paix et prospérité?
Enfin, prendre la courageuse décision d'assurer la pleine jouissance de la liberté de religion, de croyance et de conscience serait-elle la preuve qu'une nouvelle culture peut prendre racine dans l'esprit et le cœur du peuple afin de rêver d'une autre Tunisie plus juste et plus équitable?
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1 - Article premier de la Constitution: "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'Arabe sa langue et la République son régime. Le présent article ne peut faire l'objet de révision".
2 - Khadija T. Moalla: "Comment promouvoir la liberté de religion et de conviction dans les pays à majorité musulmane?"- Leaders.com.tn
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