A tous les patients cancéreux dont je me suis occupée: je suis désolée. Je n'avais pas compris.
J'y pense très souvent depuis que je sais que j'ai moi-même un cancer. J'ai travaillé en service d'oncologie, en hôpital et en consultation externe, presque toute ma vie. Au début, je m'occupais d'attribuer les chambres et de donner des rendez-vous aux patients, puis j'ai été infirmière auxiliaire pendant mes études, avant d'obtenir mon diplôme. Je me targuais d'avoir un bon rapport avec les patients, et de les aider à gérer leur cancer et tout ce qui va avec. Je pensais vraiment avoir compris ce qu'ils vivaient. Je me trompais.
En fait, je ne me rendais pas compte de l'impact qu'avaient mes mots. J'ai participé à d'innombrables échanges sur le diagnostic d'un patient, et j'ai moi-même dû annoncer la nouvelle à mainte reprise, mais lorsque c'est à vous que le docteur s'adresse, c'est surréaliste. Vous essayez d'enregistrer les détails et de ne rien oublier, mais ce que vous voulez plus que tout, c'est ne rien laisser paraître, poser une ou deux questions, et passer à autre chose dès que possible.
Vous rentrez chez vous, et vous éclatez en sanglots à cause de ce qu'on vient de vous apprendre. Vous restez prostré pendant des heures, en refusant d'y croire, jusqu'à ce qu'il faille donner le change au boulot ou ailleurs, parce que vous n'avez pas encore tous les détails et que vous ne vous pas encore en parler. Vous ne sauriez d'ailleurs pas par où commencer, et vous broyez du noir. Il n'y a pas pire que ce jour-là. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point l'attente est insupportable. C'est ce qu'il y a de pire. Le diagnostic prend un temps fou. Les consultations, les biopsies, les examens, les opérations... et les scanners. Beurk. On tente tant bien que mal de faire bonne figure mais, à ce stade, on ne sait plus à quoi on a affaire, et l'inconnu nous terrifie. Quand on sait qu'on a un cancer mais qu'on n'a pas encore commencé le traitement, on se sent totalement impuissant-e. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point c'est difficile d'en parler à son entourage. On ne sait pas quoi dire. Eux non plus. Personne ne sait quoi dire, mais on se sent soulagé-e quand ça commence à se savoir. Répondre à tous les messages et à tous les appels - et accepter que les autres soient au courant de choses aussi intimes - n'est vraiment pas évident, mais l'horrible secret que l'on gardait en soi est enfin révélé, et les gens qui vont vous soutenir peuvent enfin agir. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point vous étiez suspendus à mes lèvres. Vous repensiez sans arrêt à ce que je vous avais dit. Vous vous demandiez si vous aviez bien compris. Vous me rappeliez pour être sûr-e. Et encore une fois parce qu'un-e ami-e vous avait dit: "Oui, mais tu as demandé si ça ne pouvait pas être _____?" Vous demandiez aux autres infirmières pour savoir si elles vous diraient la même chose. Sachez que nous sommes prêt-e-s à vous redire les choses dix mille fois par jour jusqu'à ce que les choses soient parfaitement claires pour vous. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que vous cherchiez sans cesse des réponses sur internet. Je vous avais dit de ne pas le faire. Vous l'avez fait quand même. Beaucoup. Et moi aussi. A la recherche d'informations, de raisons d'espérer, d'histoires comme la vôtre, de réconfort. C'est complètement naturel. Mon point de vue a changé. Je vous conseille simplement de vérifier vos sources quand vous allez sur Google. Je vous aiderai à faire le tri. Et je vous promets de vous en dire davantage, parce que je sais que vous êtes avides d'information. Il serait irréaliste de penser que vous aurez la force de ne pas aller sur internet (j'en ai moi-même été incapable). Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris ce que vous ressentiez face à tous ces regards apitoyés. Quand vous marchiez dans le couloir au boulot, ou que vous croisiez quelqu'un qui venait d'apprendre votre situation. La tête légèrement penchée, le "Comment vas-tu?" prononcé d'un ton doucereux. Vous avez rapidement appris à sortir la formule toute faite: "Ca va plutôt bien. Je suis fatiguée mais je tiens bon." Attention ! Je sais que vous appréciiez les marques d'attention, mais il vous a vraiment fallu du temps pour vous habituer à la pitié que vous suscitiez. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris ce qui se passe au cours de tous ces "autres rendez-vous". L'oncologie, je maîtrisais. Mais je ne savais pas vraiment quoi vous dire à propos des différents types de scanner, de la radiothérapie, des blocs opératoires. J'aurais dû mieux me renseigner. J'aurais dû vous dire qu'il fallait attendre une heure entre le moment où vous preniez le médicament et le scanner, ce qu'il ne fallait pas manger ou boire avant certaines interventions, ou que certains traitements vous obligeaient à venir tous les jours à l'hôpital. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point ça fait bizarre de s'entendre dire qu'on est "courageux". Très souvent. Ca fait plaisir, c'est vrai, mais on ne comprend pas trop en quoi on fait preuve de courage. Bien sûr, on s'en sort plutôt bien (la plupart du temps), mais on n'a pas eu le choix. Je suis une thérapie parce que j'en ai besoin. Ca ne fait pas de moi une héroïne. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point ça vous rend dingue. Littéralement. Vous vous demandez si vous avec encore des neurones, quand vous subissez les effets secondaires du traitement, ou que vous avez d'autres symptômes. Même si vous aviez eu tous les effets secondaires possibles de la chimiothérapie, ou même aucun, vous vous demanderiez quand même si les choses se passent comme elles le devraient. Quand vous avez mal à la tête, un rhume ou des douleurs musculaires, vous vous demandez toujours si ça n'est pas lié à votre cancer et si ce n'est pas le signe qu'il progresse, même quand c'est absurde. J'espère que vous n'avez pas eu l'impression que je prenais les choses à la légère quand vous m'appeliez pour me poser la question et que je vous répondais qu'il ne fallait pas vous inquiéter. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris pourquoi vous étiez constamment sur vos gardes. Vous vous demandiez si nous vous cachions des choses sur votre diagnostic. Nous parlions pourcentages et statistiques avec vous, et nous insistions sur le fait que chaque cancer est différent. Mais peut-être ne disions-nous pas tout parce que les nouvelles étaient vraiment trop mauvaises. Je sais pertinemment que ce n'est pas le cas. Pourtant, je ressens la même chose. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point on a du mal à faire un choix parmi toutes ces "options". Dans certains cas, il faut se décider sur tel ou tel spécialiste, tel ou tel médicament, telle ou telle thérapie, etc. J'essayais de faire le point avec vous sur les conséquences de chaque décision, mais vous finissiez parfois par vous y perdre. Vous vouliez participer à votre guérison, mais ces multiples choix vous causaient énormément de stress. Vous me suppliiez de vous dire ce que j'en pensais, et ce que je ferais à votre place. Je détestais cette question, mais je vois aujourd'hui pourquoi vous me la posiez. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point c'est difficile à accepter, surtout pour les mères. Vous n'en aviez pas l'habitude, mais vous en aviez besoin. Vous n'osiez pas avouer que vous n'auriez peut-être pas tenu le coup les premiers mois sans les bons petits plats préparés, les chèques cadeau et le soutien de votre entourage. Vous étiez émus par toutes ces attentions, et vous espériez au fond de vous que vous auriez été capables d'une telle générosité. Vous vous demandez encore si vous avez suffisamment remercié les gens, ou si vous avez raté l'occasion de leur rendre la pareille. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris vos sautes d'humeur imprévisibles. Certains jours, vous étiez persuadés d'avoir triomphé de votre cancer, que tout était possible. Et puis, le lendemain, sans raison, vous vous disiez que vous feriez partie de ces cas dont on parle d'un air désolé. Ces sautes d'humeur pouvaient être provoquées par n'importe quoi. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que nous ne soupçonnons même pas ce qui se cache derrière votre fatigue. Bien sûr, il existe des mots pour décrire le surmenage et la fatigue extrême, mais aucun ne traduit la véritable paralysie qui peut s'emparer des patients cancéreux. Certains jours, vous vous demandiez comment vous tiendriez jusqu'au soir. Je suis désolée. Je n'avais pas compris. Je n'avais pas compris à quel point cette maladie est chronophage. J'utilisais toujours des phrases comme "Le cancer est un boulot à plein temps" ou "le quotidien continue malgré le cancer" pour tenter de vous préparer. A présent, elles m'ont l'air d'expressions fourre-tout complètement débiles. La maladie vous a submergé-e. Vous avez dû arrêter de faire ce qui vous plaisait. Vous avez raté des choses dont vous vous réjouissiez, vous en avez annulées d'autres. Le cancer ne faisait pas partie de vos projets, et vous avez mis longtemps à en faire le deuil. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris la surprise que vous avez éprouvée en voyant votre corps changer si rapidement. Vous vous êtes regardé-e, incrédule, dans le miroir. La peau gonflée, peut-être, ou les cicatrices, la perte de vos cheveux, les kilos que l'on perd même quand on essaie de manger tout ce qu'on peut. C'est difficile. L'apparence physique est étroitement liée à notre identité, même si nous avons du mal à l'admettre, et ces changements vous rappelaient sans cesse ce qui vous menaçait. Vous aviez juste envie de retrouver celui ou celle que vous aviez été. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point on souffre de se sentir exclu. Les gens cessent de vous inviter. Ils ont l'impression de ne plus pouvoir se plaindre des petites choses du quotidien. Ils vous traitent différemment, et ça fait un peu mal. Vous ne leur en voulez pas. D'ailleurs, vous avez fait la même chose quand vous avez été confrontés à des situations dramatiques. Et vous n'avez de toute façon pas envie de sortir prendre un verre parce que vous ne vous sentez pas bien. Mais vous avez besoin d'un retour à la normale. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point vous vous faisiez du souci pour vos enfants. C'est ce que je regrette le plus. J'aurais dû parler d'eux avec vous plus souvent, et pas seulement en termes liés à la maladie. Vous vous demandiez comment cela allait les affecter, si vous seriez encore capable de suivre le rythme, ou de vous en occuper les mauvais jours. Vous aviez peur que ça les marque à vie, et que ça leur fasse peur. Vous aviez peur de les quitter. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris l'étendue de votre culpabilité, surtout pour ceux qui sont mariés. Vous vous reprochiez d'obliger votre conjoint-e à mettre les bouchées doubles - mentalement, pour vous aider à garder le moral, et physiquement pour toutes les tâches du quotidien. Vous compreniez que l'on promet de s'aimer "pour le meilleur et pour le pire" quand on se marie, mais vous vous disiez malgré tout qu'il ou elle ne méritait vraiment pas cela. Vous lui étiez reconnaissant-e de vous proposer d'aller vous reposer pendant qu'il ou elle s'occupait des enfants, mais ça vous brisait le cœur de les entendre jouer sans vous dans la pièce à côté, et vous vous demandiez si c'était ce qui les attendait à l'avenir. Une vie sans vous. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que ça ne s'arrête jamais. J'avais l'habitude de dire que le cancer n'est qu'une phase. Comme le lycée, par exemple. C'est pénible quand on est en plein dedans, mais ça finit par passer. J'espère que je ne vous ai pas donné l'impression que vous n'étiez pas normal-e. Le cancer n'est pas une phase. Il y a des phases. La thérapie ne durera pas éternellement, mais vous avez changé. Vous continuerez à vous faire du souci, à vous demander de quoi demain sera fait, à craindre une rechute, ou la fin. Il paraît qu'on finit par se sentir mieux. Le temps, ce temps devenu si précieux, me le dira. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je dois avouer que j'ai probablement eu un peu plus de chance que vous au début. Je connais les termes médicaux, les bons intervenants, je travaille là où on me soigne. Alors c'est sûr que c'est plus pratique. J'ai vu tellement de gens affronter ce cauchemar en faisant preuve d'optimisme et d'obstination, alors qu'ils ignoraient tout du cancer, sauf qu'ils ne voulaient jamais en avoir un. Je les ai toujours trouvés admirables, et je les ai tous aimés.
Mon plus grand plaisir, c'est de les voir se reconstruire lentement. J'aime avoir de leurs nouvelles après plusieurs années, quand tout va bien pour eux. Ça met du baume au cœur de toutes les infirmières en oncologie. Alors tant pis si les professionnels de la santé ne savent pas vraiment ce que les patients (dont je fais désormais partie) ressentent. Après tout, personne ne le sait avant d'avoir un cancer. J'espère juste avoir réussi à vous donner quelques conseils utiles et un peu de force pour traverser cette épreuve. Même si je comprends seulement maintenant ce que vous avez vécu.
Bien à vous, Lindsay, infirmière diplômée.
J'y pense très souvent depuis que je sais que j'ai moi-même un cancer. J'ai travaillé en service d'oncologie, en hôpital et en consultation externe, presque toute ma vie. Au début, je m'occupais d'attribuer les chambres et de donner des rendez-vous aux patients, puis j'ai été infirmière auxiliaire pendant mes études, avant d'obtenir mon diplôme. Je me targuais d'avoir un bon rapport avec les patients, et de les aider à gérer leur cancer et tout ce qui va avec. Je pensais vraiment avoir compris ce qu'ils vivaient. Je me trompais.
En fait, je ne me rendais pas compte de l'impact qu'avaient mes mots. J'ai participé à d'innombrables échanges sur le diagnostic d'un patient, et j'ai moi-même dû annoncer la nouvelle à mainte reprise, mais lorsque c'est à vous que le docteur s'adresse, c'est surréaliste. Vous essayez d'enregistrer les détails et de ne rien oublier, mais ce que vous voulez plus que tout, c'est ne rien laisser paraître, poser une ou deux questions, et passer à autre chose dès que possible.
Vous rentrez chez vous, et vous éclatez en sanglots à cause de ce qu'on vient de vous apprendre. Vous restez prostré pendant des heures, en refusant d'y croire, jusqu'à ce qu'il faille donner le change au boulot ou ailleurs, parce que vous n'avez pas encore tous les détails et que vous ne vous pas encore en parler. Vous ne sauriez d'ailleurs pas par où commencer, et vous broyez du noir. Il n'y a pas pire que ce jour-là. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
J'ai participé à d'innombrables échanges sur le diagnostic d'un patient, et j'ai moi-même dû annoncer la nouvelle à mainte reprise, mais lorsque c'est à vous que le docteur s'adresse, c'est surréaliste.
Je n'avais pas compris à quel point l'attente est insupportable. C'est ce qu'il y a de pire. Le diagnostic prend un temps fou. Les consultations, les biopsies, les examens, les opérations... et les scanners. Beurk. On tente tant bien que mal de faire bonne figure mais, à ce stade, on ne sait plus à quoi on a affaire, et l'inconnu nous terrifie. Quand on sait qu'on a un cancer mais qu'on n'a pas encore commencé le traitement, on se sent totalement impuissant-e. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point c'est difficile d'en parler à son entourage. On ne sait pas quoi dire. Eux non plus. Personne ne sait quoi dire, mais on se sent soulagé-e quand ça commence à se savoir. Répondre à tous les messages et à tous les appels - et accepter que les autres soient au courant de choses aussi intimes - n'est vraiment pas évident, mais l'horrible secret que l'on gardait en soi est enfin révélé, et les gens qui vont vous soutenir peuvent enfin agir. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point vous étiez suspendus à mes lèvres. Vous repensiez sans arrêt à ce que je vous avais dit. Vous vous demandiez si vous aviez bien compris. Vous me rappeliez pour être sûr-e. Et encore une fois parce qu'un-e ami-e vous avait dit: "Oui, mais tu as demandé si ça ne pouvait pas être _____?" Vous demandiez aux autres infirmières pour savoir si elles vous diraient la même chose. Sachez que nous sommes prêt-e-s à vous redire les choses dix mille fois par jour jusqu'à ce que les choses soient parfaitement claires pour vous. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que vous cherchiez sans cesse des réponses sur internet. Je vous avais dit de ne pas le faire. Vous l'avez fait quand même. Beaucoup. Et moi aussi. A la recherche d'informations, de raisons d'espérer, d'histoires comme la vôtre, de réconfort. C'est complètement naturel. Mon point de vue a changé. Je vous conseille simplement de vérifier vos sources quand vous allez sur Google. Je vous aiderai à faire le tri. Et je vous promets de vous en dire davantage, parce que je sais que vous êtes avides d'information. Il serait irréaliste de penser que vous aurez la force de ne pas aller sur internet (j'en ai moi-même été incapable). Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris ce que vous ressentiez face à tous ces regards apitoyés. Quand vous marchiez dans le couloir au boulot, ou que vous croisiez quelqu'un qui venait d'apprendre votre situation. La tête légèrement penchée, le "Comment vas-tu?" prononcé d'un ton doucereux. Vous avez rapidement appris à sortir la formule toute faite: "Ca va plutôt bien. Je suis fatiguée mais je tiens bon." Attention ! Je sais que vous appréciiez les marques d'attention, mais il vous a vraiment fallu du temps pour vous habituer à la pitié que vous suscitiez. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris ce qui se passe au cours de tous ces "autres rendez-vous". L'oncologie, je maîtrisais. Mais je ne savais pas vraiment quoi vous dire à propos des différents types de scanner, de la radiothérapie, des blocs opératoires. J'aurais dû mieux me renseigner. J'aurais dû vous dire qu'il fallait attendre une heure entre le moment où vous preniez le médicament et le scanner, ce qu'il ne fallait pas manger ou boire avant certaines interventions, ou que certains traitements vous obligeaient à venir tous les jours à l'hôpital. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point ça fait bizarre de s'entendre dire qu'on est "courageux". Très souvent. Ca fait plaisir, c'est vrai, mais on ne comprend pas trop en quoi on fait preuve de courage. Bien sûr, on s'en sort plutôt bien (la plupart du temps), mais on n'a pas eu le choix. Je suis une thérapie parce que j'en ai besoin. Ca ne fait pas de moi une héroïne. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Vous me suppliiez de vous dire ce que j'en pensais, et ce que je ferais à votre place. Je détestais cette question, mais je vois aujourd'hui pourquoi vous me la posiez.
Je n'avais pas compris à quel point ça vous rend dingue. Littéralement. Vous vous demandez si vous avec encore des neurones, quand vous subissez les effets secondaires du traitement, ou que vous avez d'autres symptômes. Même si vous aviez eu tous les effets secondaires possibles de la chimiothérapie, ou même aucun, vous vous demanderiez quand même si les choses se passent comme elles le devraient. Quand vous avez mal à la tête, un rhume ou des douleurs musculaires, vous vous demandez toujours si ça n'est pas lié à votre cancer et si ce n'est pas le signe qu'il progresse, même quand c'est absurde. J'espère que vous n'avez pas eu l'impression que je prenais les choses à la légère quand vous m'appeliez pour me poser la question et que je vous répondais qu'il ne fallait pas vous inquiéter. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris pourquoi vous étiez constamment sur vos gardes. Vous vous demandiez si nous vous cachions des choses sur votre diagnostic. Nous parlions pourcentages et statistiques avec vous, et nous insistions sur le fait que chaque cancer est différent. Mais peut-être ne disions-nous pas tout parce que les nouvelles étaient vraiment trop mauvaises. Je sais pertinemment que ce n'est pas le cas. Pourtant, je ressens la même chose. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point on a du mal à faire un choix parmi toutes ces "options". Dans certains cas, il faut se décider sur tel ou tel spécialiste, tel ou tel médicament, telle ou telle thérapie, etc. J'essayais de faire le point avec vous sur les conséquences de chaque décision, mais vous finissiez parfois par vous y perdre. Vous vouliez participer à votre guérison, mais ces multiples choix vous causaient énormément de stress. Vous me suppliiez de vous dire ce que j'en pensais, et ce que je ferais à votre place. Je détestais cette question, mais je vois aujourd'hui pourquoi vous me la posiez. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point c'est difficile à accepter, surtout pour les mères. Vous n'en aviez pas l'habitude, mais vous en aviez besoin. Vous n'osiez pas avouer que vous n'auriez peut-être pas tenu le coup les premiers mois sans les bons petits plats préparés, les chèques cadeau et le soutien de votre entourage. Vous étiez émus par toutes ces attentions, et vous espériez au fond de vous que vous auriez été capables d'une telle générosité. Vous vous demandez encore si vous avez suffisamment remercié les gens, ou si vous avez raté l'occasion de leur rendre la pareille. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris vos sautes d'humeur imprévisibles. Certains jours, vous étiez persuadés d'avoir triomphé de votre cancer, que tout était possible. Et puis, le lendemain, sans raison, vous vous disiez que vous feriez partie de ces cas dont on parle d'un air désolé. Ces sautes d'humeur pouvaient être provoquées par n'importe quoi. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que nous ne soupçonnons même pas ce qui se cache derrière votre fatigue. Bien sûr, il existe des mots pour décrire le surmenage et la fatigue extrême, mais aucun ne traduit la véritable paralysie qui peut s'emparer des patients cancéreux. Certains jours, vous vous demandiez comment vous tiendriez jusqu'au soir. Je suis désolée. Je n'avais pas compris. Je n'avais pas compris à quel point cette maladie est chronophage. J'utilisais toujours des phrases comme "Le cancer est un boulot à plein temps" ou "le quotidien continue malgré le cancer" pour tenter de vous préparer. A présent, elles m'ont l'air d'expressions fourre-tout complètement débiles. La maladie vous a submergé-e. Vous avez dû arrêter de faire ce qui vous plaisait. Vous avez raté des choses dont vous vous réjouissiez, vous en avez annulées d'autres. Le cancer ne faisait pas partie de vos projets, et vous avez mis longtemps à en faire le deuil. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris la surprise que vous avez éprouvée en voyant votre corps changer si rapidement. Vous vous êtes regardé-e, incrédule, dans le miroir. La peau gonflée, peut-être, ou les cicatrices, la perte de vos cheveux, les kilos que l'on perd même quand on essaie de manger tout ce qu'on peut. C'est difficile. L'apparence physique est étroitement liée à notre identité, même si nous avons du mal à l'admettre, et ces changements vous rappelaient sans cesse ce qui vous menaçait. Vous aviez juste envie de retrouver celui ou celle que vous aviez été. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point on souffre de se sentir exclu. Les gens cessent de vous inviter. Ils ont l'impression de ne plus pouvoir se plaindre des petites choses du quotidien. Ils vous traitent différemment, et ça fait un peu mal. Vous ne leur en voulez pas. D'ailleurs, vous avez fait la même chose quand vous avez été confrontés à des situations dramatiques. Et vous n'avez de toute façon pas envie de sortir prendre un verre parce que vous ne vous sentez pas bien. Mais vous avez besoin d'un retour à la normale. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris à quel point vous vous faisiez du souci pour vos enfants. C'est ce que je regrette le plus. J'aurais dû parler d'eux avec vous plus souvent.
Je n'avais pas compris à quel point vous vous faisiez du souci pour vos enfants. C'est ce que je regrette le plus. J'aurais dû parler d'eux avec vous plus souvent, et pas seulement en termes liés à la maladie. Vous vous demandiez comment cela allait les affecter, si vous seriez encore capable de suivre le rythme, ou de vous en occuper les mauvais jours. Vous aviez peur que ça les marque à vie, et que ça leur fasse peur. Vous aviez peur de les quitter. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris l'étendue de votre culpabilité, surtout pour ceux qui sont mariés. Vous vous reprochiez d'obliger votre conjoint-e à mettre les bouchées doubles - mentalement, pour vous aider à garder le moral, et physiquement pour toutes les tâches du quotidien. Vous compreniez que l'on promet de s'aimer "pour le meilleur et pour le pire" quand on se marie, mais vous vous disiez malgré tout qu'il ou elle ne méritait vraiment pas cela. Vous lui étiez reconnaissant-e de vous proposer d'aller vous reposer pendant qu'il ou elle s'occupait des enfants, mais ça vous brisait le cœur de les entendre jouer sans vous dans la pièce à côté, et vous vous demandiez si c'était ce qui les attendait à l'avenir. Une vie sans vous. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je n'avais pas compris que ça ne s'arrête jamais. J'avais l'habitude de dire que le cancer n'est qu'une phase. Comme le lycée, par exemple. C'est pénible quand on est en plein dedans, mais ça finit par passer. J'espère que je ne vous ai pas donné l'impression que vous n'étiez pas normal-e. Le cancer n'est pas une phase. Il y a des phases. La thérapie ne durera pas éternellement, mais vous avez changé. Vous continuerez à vous faire du souci, à vous demander de quoi demain sera fait, à craindre une rechute, ou la fin. Il paraît qu'on finit par se sentir mieux. Le temps, ce temps devenu si précieux, me le dira. Je suis désolée. Je n'avais pas compris.
Je dois avouer que j'ai probablement eu un peu plus de chance que vous au début. Je connais les termes médicaux, les bons intervenants, je travaille là où on me soigne. Alors c'est sûr que c'est plus pratique. J'ai vu tellement de gens affronter ce cauchemar en faisant preuve d'optimisme et d'obstination, alors qu'ils ignoraient tout du cancer, sauf qu'ils ne voulaient jamais en avoir un. Je les ai toujours trouvés admirables, et je les ai tous aimés.
Mon plus grand plaisir, c'est de les voir se reconstruire lentement. J'aime avoir de leurs nouvelles après plusieurs années, quand tout va bien pour eux. Ça met du baume au cœur de toutes les infirmières en oncologie. Alors tant pis si les professionnels de la santé ne savent pas vraiment ce que les patients (dont je fais désormais partie) ressentent. Après tout, personne ne le sait avant d'avoir un cancer. J'espère juste avoir réussi à vous donner quelques conseils utiles et un peu de force pour traverser cette épreuve. Même si je comprends seulement maintenant ce que vous avez vécu.
Bien à vous, Lindsay, infirmière diplômée.
Ce blog, publié à l'origine sur Here Comes The Sun 927 et repris par le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.
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