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Le processus transitionnel en Tunisie 2011-2014: L'Assemblée Nationale Constituante et la sauvegarde de l'esprit de la Révolution (3eme partie)

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Ce blog fait partie d'une série de contributions de l'auteur sur le thème "Le processus transitionnel en Tunisie 2011-2014". Retrouvez la première partie et la deuxième partie de ce blog ci-dessous:

-Le processus transitionnel en Tunisie 2011-2014: Assumer le relais de la Révolution (1ère partie)

-Le processus transitionnel en Tunisie 2011-2014: Pour gouverner quel autre choix que la Troïka? (2eme partie)


Premières réunions de l'Assemblée sous le signe de la rupture avec le régime de Ben Ali


Un mois après les élections, le 22 novembre 2011, l'Assemblée Nationale Constituante (A.N.C.) avec ses 217 députés, directement investis par le peuple pour parfaire la Révolution, a tenu sa première séance au palais du Bardo. Cette première séance a été particulièrement émouvante pour tous ceux qui avaient combattu si longtemps la dictature. Les députés après avoir prêté serment sur le Coran, ont entonné en chœur l'hymne national, Humat al-Hima ("Défenseurs de la patrie"), puis récité la Fatiha et ont rendu un vibrant hommage aux martyrs de la Révolution, citant leurs noms un à un et leur région d'appartenance.

Ce fut ensuite l'élection du président et de ses deux vice-présidents. J'étais un des deux candidats au poste de président, avec Maya Jribi, chef du Parti Démocrate Progressiste. J'ai été élu avec 145 voix, puis j'ai prêté serment et prononcé un discours qui insistait sur la mission dévolue à l'Assemblée, plaidant en faveur de l'édification d'une IIeme République susceptible de consacrer la justice sociale et protéger les libertés publiques et individuelles.

J'ai ensuite tenu à rendre hommage à Maya Jribi en lui donnant la parole. Militante respectée de tous, elle avait comme moi participé activement à la lutte contre la dictature, et c'est la première femme de l'histoire politique tunisienne à occuper les fonctions de chef de parti. De facto, elle devenait le leader de l'opposition parlementaire et cela me semblait important de le souligner, car c'était un signal fort de rupture avec les parlements précédents, simples chambres d'enregistrement pour les décisions de l'exécutif.

Ce geste préfigure le statut de l'opposition qui sera inscrit, trois ans plus tard, dans l'article 99 de la Constitution du 27 janvier 2014 et mis en pratique dans l'actuelle Assemblée des Représentants du Peuple -ARP-.

Le travail à l'Assemblée avec les nouveaux députés, souvent inexpérimentées mais pleins d'enthousiasme a commencé tout de suite après, et les évènements se sont rapidement enchainés.

Le 10 décembre, l'Assemblée Constituante a adopté le projet de loi organisant provisoirement les pouvoirs publics, -OPP-, désigné sous le nom de "Petite Constitution". Face au vide institutionnel les attributions de l'A.N.C. ont alors été fixées: elle devait suppléer le pouvoir législatif avec adoption des projets de loi à la majorité absolue ou relative, élire le président de l'Assemblée et le président de la République à la majorité absolue, contrôler les actions du gouvernement: c'est le candidat du parti politique majoritaire qui doit être chargé de former un gouvernement et présider le conseil des ministres.

Mais la principale responsabilité de la Constituante était de rédiger une nouvelle Constitution, chaque article du projet de Constitution devant être adopté séparément à la majorité absolue des membres, la version définitive devant être ensuite adoptée intégralement avec l'appui des deux tiers des députés.

Concernant le pouvoir judiciaire, il a été déclaré indépendant, l'A.N.C. devant adopter, en concertation avec les magistrats, une loi organique créant une instance représentative provisoire chargée de superviser la justice judiciaire en remplacement du Conseil supérieur de la magistrature. L'Assemblée Constituante devra également adopter une loi organique instituant et organisant la justice transitionnelle.

Le 12 décembre nous avons procédé à l'élection du Président de la République: Moncef Marzouki a obtenu 153 voix sur 217.

Le 23 décembre la confiance a été votée au gouvernement de Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahdha et juste avant la fin de l'année, conformément à la coutume, le 31 décembre, nous avons adopté la nouvelle loi des finances.

Au début du mois de janvier 2014, avec le vote du règlement intérieur de l'A.N.C., le dispositif institutionnel provisoire était sur les rails: le 14 février les six commissions constitutionnelles étaient installées et nous pouvions alors commencer à travailler sérieusement.

Ainsi a commencé l'Assemblée Nationale Constituante, la première à être élue démocratiquement dans le monde arabe.

Comme je viens de le rappeler et, contrairement à ce qu'ont pu dire les mauvaises langues, nous n'avons pas perdu de temps, ayant très souvent recours aux séances nocturnes pour finaliser nos travaux. Nous avions conscience d'avoir une mission historique à remplir dans un contexte social et économique fragile et une situation sécuritaire instable.

La priorité des priorités était de respecter le mandat que le peuple tunisien nous avait confié: rédiger une Constitution pour tous les tunisiens, en conformité avec leurs traditions et leur histoire, sans esprit sectaire ou partisan, et qui puisse perdurer pour les générations futures.

Il faut aussi noter qu'afin de rompre avec l'obscurantisme des régimes précédents et respecter les citoyens nous avons fait le choix, dès le début, de jouer la transparence et de diffuser intégralement en direct à la télévision les séances plénières. Cela a eu l'avantage de permettre aux Tunisiens de s'initier aux débats politiques et de les sensibiliser à leurs responsabilités de citoyens et d'électeurs.

Malheureusement certains députés ont profité des caméras pour, sinon, s'inscrire déjà dans une dynamique de campagne électorale, du moins se faire "mousser" en cherchant, par des débats stériles, le "sensationnel", jouant parfois de l'invective ou de la confrontation inutile; certes, nous étions tous en période d'apprentissage démocratique, mais, malheureusement, ces attitudes ont été nuisibles au symbole de dignité qu'auraient dû incarner les représentants du peuple pour leurs électeurs, contribuant à donner de l'Assemblée une image négative que certains médias se sont dépêchés d'entretenir pour des raisons de politique politicienne.

De la contestation à l'obstruction

Cependant, une fois l'enthousiasme des premiers jours passé, le démarrage de l'A.N.C. s'est avéré difficile, semé d'obstacles.

L'opposition a tout de suite pris une posture de contestation systématique face au gouvernement de la "Troïka", composé avec les trois partis Ennahdha, CPR, Ettakatol et quelques personnalités indépendantes. A peine constitué, il a fait l'objet d'attaques acerbes, accusé d'échec avant même d'avoir commencé à travailler. Il n'a même pas bénéficié des cent jours de grâce traditionnellement accordés à tout nouveau gouvernement.

Dans ce climat de tension soigneusement entretenue, la "Petite Constitution" a également été d'emblée très critiquée particulièrement sur deux points: la répartition des pouvoirs jugée déséquilibrée et l'indétermination du temps de mandat pour l'A.N.C.

Sur le premier point, je pense, pour ma part, que la répartition des pouvoirs définie par l'OPP était équilibrée, même si Ennahdha, forte de ses 89 députés a tenu à affirmer la prédominance de l'Assemblée qui, en plus de sa mission constituante, devait assumer les fonctions législatives et contrôler l'action du gouvernement. Les missions de contrôle du gouvernement se sont exercées sans interruption et l'opposition y a largement contribué.

L'opposition a toujours participé activement à ce contrôle motivée par une crainte d'une volonté hégémonique qu'a pu témoigner le mouvement Ennahdha juste après les élections. Elle a très souvent été à l'origine des sujets proposés en débat avec le gouvernement et ne lésinait pas sur le nombre de questions écrites et orales que chaque élu pouvait lui adresser. Ainsi, tant qu'il s'est agi de contrôler l'exécutif, l'opposition a toujours demandé plus de temps et ceci se faisait bien évidemment au détriment du travail constitutionnel. Il faut noter qu'en dehors des plénières exceptionnelles à la demande des élus, le règlement intérieur a même accordé le principe d'une plénière mensuelle, réservée au dialogue avec l'exécutif.

Cette attitude de l'opposition, prenant son temps avec l'exécutif, était de fait contradictoire avec l'exigence qu'elle a manifestée au sujet de la durée maximale du mandat de l'ANC qu'elle voulait réduire à un an. Elle a interprété l'absence de date butoir pour la durée de l'Assemblée comme la volonté des partis de la coalition de prendre le temps nécessaire pour asseoir leur pouvoir. Or pour raccourcir la durée du mandat de l'ANC, il aurait fallu alléger le travail de l'assemblée en déléguant plus de pouvoir au gouvernement, tout en prévoyant un contrôle à posteriori de ses actes et décisions. L'opposition n'aurait jamais accepté cette solution avec un gouvernement dirigé par Ennahdha. Cela aurait nécessité plus de confiance préalable et un esprit de consensus qui étaient loin d'exister.

La question relative à la durée maximale du mandat de l'ANC a vraiment pollué le débat public. Il est évident que raccourcir la période de transition était de l'intérêt de tous pour des questions de stabilité. Les trois présidences n'ont jamais cessé de l'affirmer clairement. Le bureau de l'ANC, à plusieurs reprises, a présenté des ébauches de planning allant dans ce sens. L'application était difficile car il fallait, d'un côté tenir compte de l'ampleur des tâches de l'Assemblée et de l'autre des impondérables de la vie politique.

Pour comprendre les dessous de cette controverse, il faut rappeler qu'avant les élections de 2011, certains partis appréhendaient la victoire d'Ennahdha déjà annoncée par tous les sondages.

Craignant que ce parti n'accapare le pouvoir et ne le quitte plus, ils voulaient des garanties. C'est pour cette raison qu'à l'initiative du professeur Yadh Ben Achour, président de la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution, la majorité des partis politiques avaient, en septembre 2011, signé l'engagement moral d'achever la Constitution dans les délais d'un an.

Nous l'avions signé car nous avions confiance dans le jugement de cette personnalité connue pour son intégrité morale et pour ses positions courageuses contre la dictature, et parce que ce délai pour élaborer la Constitution nous avait semblé alors raisonnable même si les premiers constituants de l'Indépendance avaient mis trois ans pour écrire et adopter la constitution de 1959. Nous ne pouvions prévoir les difficultés auxquelles nous allions être confrontés au cours des années à venir: instabilité politique, insécurité grandissante alimentée par la situation chaotique en Libye, terrorisme et assassinats politiques, dérapages liés à une liberté non régulée, contestations sociales permanentes...

Sans tenir compte de ces facteurs, les contestataires, reprochant à la majorité au sein de la Constituante, à Ennahdha en particulier, de s'être érigée en Parlement, se sont mis à prôner la dissolution de l'Assemblée pourtant élue démocratiquement...

En réalité les travaux concernant la Constitution, bien avancés en juin 2013 ont été bloqués par l'assassinat de Mohamed Brahmi le 25 juillet et la grave crise politique qui en a découlé. La Commission des Consensus, mise en place pour faciliter le processus le 29 juin, a dû interrompre ses réunions et n'a pu terminer ses travaux qu'en décembre 2013. Ainsi la procédure d'adoption de la Constitution n'a pu débuter qu'en janvier 2014.

La rédaction et l'adoption de la nouvelle Constitution a ainsi, et en dépit des crises et suspensions liées aux assassinats politiques, demandé deux années, ce qui n'a rien d'excessif en soi pour un travail sérieux...

Le processus constitutionnel au rythme du consensus

Les différentes étapes du processus constitutionnel ont mis en évidence le rôle indispensable d'un consensus pour l'avancement des travaux.

Les 15-16 février 2012, l'A.N.C. a entamé les travaux relatifs à l'élaboration de la Constitution mettant en place six commissions constitutionnelles. En août 2012, elles ont élaboré un premier "draft", suivi d'un deuxième en décembre 2012. En tant que président de l'A.N.C. j'avais fixé un "deadline" pour la remise de tous les projets par les commissions. Notant le retard enregistré par la commission du régime politique, j'ai insisté pour que le calendrier soit respecté par tous, et c'est ainsi qu'au mois d'avril 2013 nous avons pu démarrer le travail de synthèse avec la Commission de la coordination et de la rédaction de la Constitution.

Vu l'importance de cette instance, j'ai tenu à la présider personnellement, en dépit des tentatives faites, lors de la discussion du règlement intérieur, pour accorder cette présidence au rapporteur général Habib Khedder. En effet, contrairement à la polémique soulevée à propos des prérogatives de cette commission, loin d'être une simple chambre d'enregistrement elle jouait un rôle crucial car nous devions y assurer la cohérence des projets élaborés par les différentes commissions. De plus, pour améliorer la rédaction du texte constitutionnel avant qu'il ne passe en séance plénière, nous avons fait appel à un groupe d'experts juristes et linguistiques choisis de manière consensuelle, et ce pour que le texte soit éventuellement amendé avant d'aboutir à la mouture définitive.

Le 1er juin 2013, l'Assemblée rendait public l'avant-projet de la Constitution. Le choix de cette date était un clin d'œil à l'histoire car ce fut le 1er juin 1959 qu'avait été promulguée la première constitution de le Tunisie indépendante. Mais en fait, ce texte adopté par la Commission de coordination et de rédaction, n'était, comme son nom l'indique, qu'un avant- projet proposé en plénière pour que les députés puissent en discuter et le modifier comme bon leur semblerait. C'était aussi le résultat d'un compromis que la commission de Venise, à laquelle j'ai volontairement soumis le projet, avait même salué.

Mais, alors qu'au cours de son élaboration en commission où tous les groupes parlementaires étaient représentés, il n'y avait pas eu de grandes réserves à son sujet, à sa publication une partie des protagonistes s'est mise à le critiquer avec virulence, usant des prétextes les plus fantaisistes, reprochant à la commission de rédaction et de coordination d'avoir apporté des modifications aux projets fournis par les commissions spécifiques. Ces critiques vont être amplifiées par certains médias qui en ont fait des gorges chaudes dans le seul but d'alimenter la polémique.

La commission des consensus

Fidèle à ma méthode, j'ai alors pris acte de cette contestation de l'opposition et, même si ce n'était pas prévu par le règlement intérieur de l'Assemblée, j'ai mis en place à la fin du mois de juin une commission ad-hoc que nous avons appelée Commission des Consensus, "lejnat ettawafukât".

La nouveauté résidait dans le fait qu'elle allait permettre de pallier au déséquilibre imposé par la règle de la représentation à la proportionnelle. La philosophie du consensus et l'originalité de la nouvelle commission- ainsi créée de manière quasi arbitraire mais validée à postériori - nous a permis de contourner cette règle en offrant la possibilité aux groupes représentés par moins de 10 députés à l'Assemblée de participer aux travaux constitutionnels.

Ainsi la Commission des Consensus a pu intégrer les courants dont la représentation ne dépassait pas les 5 députés. Quant à Ennahdha, avec ses 89 députés, elle a accepté d'y être représentée de manière quasi-égale avec le bloc démocratique d'opposition qui avait environ 35 députés. Cela a apaisé les craintes de l'opposition et accru l'efficacité des travaux au sein de la commission.

Ce travail, commencé un mois avant l'assassinat de feu Mohammed Brahmi, aurait pu s'achever en août 2013 car les questions les plus complexes avaient pu être réglées, en particulier celles ayant trait au préambule et aux libertés des sources de conflit entre conservateurs et progressistes.

Seule la nature du régime politique et la répartition des pouvoirs entre les deux têtes de l'exécutif posaient encore problème. La commission avait travaillé tout le mois de juillet. Il ne nous restait plus qu'une dizaine de séances pour boucler avant d'aller en plénière pour discussion et adoption du texte final de la Constitution.

Malheureusement, le 25 juillet 2013, date anniversaire de la proclamation de la République, notre collègue martyr Mohammed Brahmi a été lâchement assassiné. Le pays était en deuil et la crise éclatait de nouveau.

Chicaneries sur la légitimité de l'ANC

Une frange de l'opposition va trouver dans cette tragédie, qui aurait dû susciter union et solidarité, une opportunité pour mettre en accusation la majorité et revendiquer le départ du gouvernement ainsi que la dissolution de l'ANC, sous le même prétexte déjà évoqué que le délai d'un an après les élections de 2011 avait été atteint.

Quelle alternative proposaient-ils? Par quelle autre institution, ayant la même force et la même légitimité, aurait-il été possible de remplacer l'ANC? En fait, pour ceux qui appelaient à dissoudre l'ANC, l'essentiel était de changer une situation qui leur était institutionnellement défavorable. Ensuite, advienne que pourra!

La seule façon de sortir de cette impasse, qui aurait pu dégénérer, était de mobiliser au-delà de cette frange politicienne en faisant appel à tous les acteurs de la société et donc relancer le dialogue national qui était "en panne" à l'époque.

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