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L'identité retrouvée de L'étranger

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Après Meursault, contre-enquête, le beau roman de Kamel Daoud inspiré par L'étranger de Camus, voici que paraît aux devantures des libraires un ouvrage d'Alice Kaplan intitulé En quête de l'étranger! Le projet de la professeure de littérature française à l'université de Yale était audacieux: écrire la biographie -oui, la biographie- d'un des romans les plus remarquables du XXe siècle. Mais le résultat est concluant.

Avant d'ouvrir le volume, le lecteur peut ressentir une légère appréhension tant sont nombreux les ouvrages consacrés à ce roman magique. Or, c'est l'inverse qui se produit : la lecture de l'essai, habilement rythmé, est un véritable bonheur ! Au fil des chapitres, on redécouvre non seulement la genèse et la réception du chef-d'œuvre mais des pans entiers de l'existence de Camus, désormais éclairés dans une lumière plus nette.

Son singulier travail de biographe a permis à Alice Kaplan de croiser les données relevant de l'existence camusienne avec des informations contextuelles, historiques et culturelles. Certes, en France, la démarche paraît a priori surprenante. Mais, dans son prologue, Alice Kaplan cite en référence un essai pionnier de Michael Gorra intitulé Portrait of a Novel, biographie consacrée au roman de Heny James, Un portrait de femme.

Selon l'hypothèse d'Alice Kaplan, le premier mariage de Camus avec Simone Hié, en 1934, n'aurait pas été seulement un échec. L'union aurait eu des implications favorables, notamment sur l'art du romancier. Le déracinement de Camus dans la famille bourgeoise de sa première épouse aurait fourni son premier élan à L'étranger. En effet, grâce à sa belle-mère, le docteur Sogler, Camus a pu emménager à Alger, dans le quartier bourgeois d'Hydra. Il a ainsi placé à distance une jeunesse vécue dans la misère afin de mieux la sublimer.


Le fait de s'éloigner géographiquement de Belcourt a paradoxalement donné au romancier la liberté de situer la première partie de son roman dans le monde des pauvres. Selon la formule pertinente d'Alice Kaplan, "L'étranger n'est pas un livre que Camus a écrit sur lui-même, mais un livre qu'il a trouvé en lui."

Quelques années après son divorce, Camus s'est également éloigné d'Alger au profit de la France. On découvre dans En quête de l'étranger, outre l'exploitation de nouvelles archives, un tableau vivant de la période de la guerre. L'évocation de la vie quotidienne de Camus dans Paris occupé est très réussie, de même que le chapitre consacré au travail de l'édition, en période de pénurie de papier.

Concernant la seconde partie de L'étranger, Kaplan insiste sur le rôle inspirateur pour son auteur de ses fonctions de journaliste au quotidien Alger Républicain. Chargé de couvrir les procès politiques entre 1938 et 1939, il était devenu un familier des audiences judiciaires. Grâce à une méticuleuse compilation, Alice Kaplan a retrouvé les dossiers qu'il a suivis et exploités.

On peut citer l'affaire Hodent du nom d'un agent technique employé par le gouvernement, qui fut victime d'une machination. Suite aux articles de Camus d'ailleurs, l'homme a heureusement été acquitté. Citons encore l'affaire du cheikh El Okbi, équivalent français de l'affaire Dreyfus. À l'occasion de ce procès retentissant, Camus a croqué toute une galerie de personnages pittoresques, au parler typique.

Plus encore que Jean Grenier, Pascal Pia, le journaliste qui avait recruté Camus à Alger Républicain est un personnage central d'En quête de l'étranger. Dans sa biographie de Camus, Olivier Todd avait déjà souligné le rôle décisif de Pascal Pia, à la fois mentor et ami intime de Camus. Alice Kaplan héroïse à son tour celui qui a introduit Camus dans le milieu littéraire français, notamment auprès d'André Malraux, si influent chez Gallimard.

On supposait déjà, également grâce à Olivier Todd, que l'altercation vécue -entre les frères Raoul et Edgar Bensoussan, Juifs d'Oran, et un Arabe- sur la plage de Bouisseville, avait pu inspirer la scène où Meursault tire sur l'homme sans nom. L'apport essentiel du livre d'Alice Kaplan est de divulguer un nom, permettant de lever l'anonymat du personnage de l'Arabe.

L'essayiste a retrouvé la trace de cette rixe dans un article d'Alger Républicain, daté du 31 juillet 1939. L'Arabe est désormais doté d'une identité. Il se serait appelé Kaddour Touil. L'essayiste a même rencontré son frère et sa sœur à Aïn-el-Turck. C'est d'après leur témoignage, qu'elle se plaît à conclure son ouvrage sur une réconciliation imaginaire entre Albert Camus et Kaddour Touil. Une fin apaisante pour un ouvrage de haute tenue.


Pour aller plus loin: En quête de L'étranger d'Alice Kaplan, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Patrick Hersant, Gallimard, 2016.





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