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Invictus ou invaincu, ce film qui a décrit le génie de Nelson Mandela

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En 2009, ce vieux routard de la pellicule qu'est Clint Eastwood s'était mis la barre très haut: faire un film sur Nelson Mandela et cet épisode de sa vie où, après son élection à la présidence d'Afrique du sud en 1994 à l'issue de 27 ans de captivité, suivie de l'écrasante victoire électorale de son parti, l'ANC, avec près de 67% des voix, il avait tenté le pari presque impossible d'unifier ce peuple divisé depuis 1948 par le régime de l'apartheid. Ce mot signifiant en Afrikaner "développement séparé", soit l'expression du racisme assumé.

Casting soigné avec le monstre sacré Morgan Freeman dans le rôle de Mandela et Matt Damon dans le deuxième rôle-clé du film, celui de... François Pienaar. Qui? Un français? Non, un Sud-africain dont le patronyme trahit certes une origine franchouillarde, mais c'est un détail. Blanc, bien sûr, vu l'acteur choisi pour le rôle. On sèche? Réponse: Il s'agit du capitaine de l'équipe de rugby d'Afrique du sud, les Springboks, sacrée chez elle championne du monde en 1995 à la surprise générale.

Mais alors, était-ce un film sur le rugby ou sur la politique? Clairement: sur la politique. Avec le rugby en arrière-plan. Déroutant, pas vrai? Oui, car c'est là que Clint Eastwood fait apparaître le génie absolu de Nelson Mandela, qui avait eu la folle idée de saisir l'occasion qui lui était donnée par cette Coupe du monde organisée en Afrique du sud pour créer pour la première fois l'unité de 43 millions de Sud-africains autour de... l'équipe nationale de rugby! C'est vrai que personne n'attendait Mandela sur ce terrain-là pour réaliser un aussi bel essai, et si magistralement transformé!

Le gazon et le terrain vague

Ce pari paraît d'autant plus fou à la vue d'un détail du système de l'apartheid: le rugby était LE sport des blancs, quasi-interdit aux noirs dont LE sport était le football. Le rugby suscitait alors au mieux l'indifférence des noirs et au pire une réelle aversion culturelle, comme le grand Clint le montre à merveille en plantant le décor dès la première scène face à face, des blancs jouant en tenue de sport impeccable au ballon ovale sur un superbe terrain gazonné et, de l'autre côté d'un grillage assez haut pour ne pas pouvoir être franchi, des noirs en guenille, parfois pieds-nus, se disputant ce qui pouvait ressembler à un ballon rond sur un terrain vague clairsemé de déchets. Plus de doute: on parle bien de politique et d'apartheid, même si la page du régime raciste était officiellement tournée.

Pendant ce temps, à la Présidence de la République, loin des terrains de rugby, un groupe d'une dizaine de colosses blancs se présentaient au bureau de la sécurité présidentielle comme étant les hommes de la sécurité de l'ancien Premier ministre blanc Frederick De Clerc, celui qui avait libéré Mandela et mis fin au régime de l'apartheid (sans doute plus par réalisme et pragmatisme, jugeant le système ségrégationniste condamné à terme, mais l'histoire retiendra ce choix). L'un d'eux tend alors au chef de la sécurité présidentielle (un noir) un papier qu'il prétend signé... de la main du Président Mandela, ordonnant l'intégration de ces blancs dans sa propre équipe de protection rapprochée!

Le nouveau chef de la sécurité croit d'abord et à un faux et court en parler à "Madiba" (nom célèbre donné à Mandela), certain que celui-ci n'aurait jamais pris pareil risque d'intégrer à sa propre sécurité des blancs ayant servi le régime de l'apartheid. Madiba lui confirme alors que cet ordre émanait bien de lui, qu'il était tout à fait réfléchi, qu'il visait à contribuer à unifier la nouvelle Afrique du sud et que ces blancs allaient maintenant travailler sous ses ordres avec leurs collègues noirs, réfutant tous les arguments de son fidèle chef de la sécurité. Lequel avait dû se demander si Madiba était devenu fou, sa fidélité au Président lui faisant tout de même accepter la décision. Bon gré, mal gré.

LEUR équipe

D'autres auraient aussi pu croire que Mandela était devenu fou s'ils avaient écouté le contenu de sa première conversation avec le fameux François Pienaar, apparemment peu préoccupé de politique et venant d'une famille de la classe moyenne blanche anxieuse pour son avenir dans l'Afrique du sud post-apartheid. Un jour, Pienaar reçoit chez ses parents un coup de fil inattendu, émanant du Président Mandela et l'invitant à venir prendre le thé sans qu'il ne lui en expose le motif.

Apparemment honoré de cette invitation, le jeune François ne semblait aucunement éprouver les préjugés et le scepticisme de sa famille et de la communauté blanche vis-à-vis du nouveau pouvoir noir. Il se rendait alors à l'invitation du Président, le jour convenu. Et, là, quelle ne fut pas sa surprise lorsque le Président lui fit comprendre qu'il comptait sur lui pour une mission de la plus haute importance pour l'Afrique du sud: gagner la Coupe du monde quelques mois plus tard! S'il n'avait jamais imaginé être convoqué pour pareille demande par le Président, ce pari lui semblait d'autant plus fou que les Springboks, bien que pays organisateur, étaient alors très loin d'être favoris face aux redoutables équipes de Nouvelle-Zélande, de France, d'Australie et d'Angleterre. Mandela lui fit comprendre la dimension hautement politique de sa demande: autant conscient de l'importance symbolique que représentait les Springboks pour les blancs que de leur inquiétude dans un pays qu'ils ne dominaient plus, ceci face l'aspiration des noirs à la dignité qui ne devait pas être synonyme de vengeance, il fallait faire se lever ensemble 43 millions de Sud-africains pour LEUR équipe nationale qui devait gagner pour les unir. Le tout sans un mot de haine, ni de remontrance.

A sa sortie, le jeune Pienaar était aussi subjugué qu'ému et confiait à sa fiancée: "Je n'ai jamais rencontré un homme comme lui!". La réalité est que le vieux président avait éveillé l'esprit du jeune capitaine à bien des questions qu'il ne s'était jamais posées.

C'est alors que se créait une relation d'amitié et d'admiration insolite entre "le Président" et "le Capitaine", qui s'étaient donnés parole de réaliser ensemble deux paris représentant les deux faces d'une même médaille dans leur pacte secret. En effet, qu'y avait-il de plus fou que de chercher à poser une pierre à la réalisation de l'unité d'un peuple élevé pour vivre séparé, en misant sur la victoire presque impossible d'une équipe nationale de blancs (qui ne comptait alors qu'un seul noir) et qui serait applaudie autant par les blancs que par les noirs malgré le poids des humiliations du passé et des murs qu'il avait construits?

Et le grand Clint montrera comment le Capitaine, sur proposition du Président, fera venir son équipe de blancs dans les townships (bidonvilles) où les enfants noirs clamaient à tue tête le nom de "Chester", seul noir de l'équipe. Ou comment le jeune François visitant le pénitencier de Robben Island demandera à voir la cellule du Président, découvrant qu'il y avait juste assez de place pour y déployer... ses bras! Ou encore et surtout comment les anciens gardes blancs de la sécurité de De Clerc, intégrés à la garde personnelle de Mandela, finiront par trouver une oreille attentive chez leurs collègues noirs pour leur expliquer les règles de ce sport de brutes qu'est le rugby (que les britanniques disent joué par des gentlemen) et de faire bloc avec eux comme un seul homme autour de LEUR Président et de LEUR équipe!

Et le plus fou est que ces Springboks, sur lesquels personne ne pariait au départ, ont fini par gagner cette Coupe du monde, soutenus par 43 millions de Sud-africains chantant leur hymne national écrit en quatre langues: bantou, zoulou, afrikaner et anglais.

Pour finir, bravo au grand Clint d'avoir fait comprendre aux non latinistes qu'Invictus voulait dire invaincu et qu'à notre époque ce mot avait eu un visage et un esprit: celui de Nelson Mandela. Adieu et merci Madiba! Quelle émotion en écrivant ces derniers mots...

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