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Carnets de voyage depuis le Panama

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Les Panama Papers n'ont pas encore fini de livrer tout leur secrets, les détails croustillants, les noms de stars du foot, du showbiz et des affaires, la complexité technique apparente des montages financiers.

On se dit qu'avec tous ces tetrabytes de fichiers, il y aura sans doute de quoi nourrir tous les voyeurs du monde. Il y a assez de matière pour les complotistes les plus aguerris sur l'implication de la CIA (évidement...) qui cherche à perturber la quiétude du citoyen Vladimir P; lequel, aux dernières nouvelles, dort encore curieusement très bien le soir avec sa babouchka.

Accessoirement, il y a aussi, et surtout, un nombre d'enseignements en forme de piqûre de rappel de ce à quoi le monde en général, et la Tunisie en particulier ressemblent en 2016.

Rappelons-le d'emblée. Contrairement à ce que prétendent les médias et certains spécialistes, l'optimisation fiscale (que d'aucuns appellerait évasion et qui ne doit pas être confondue avec la fraude fiscale) n'est pas une manœuvre illégale et ne constitue pas, dans la majorité des juridictions en question, un délit. C'est surtout sur le plan moral que la question doit être portée.

Manœuvre techniquement licite car elle n'enfreint a priori aucune loi, devrait-elle pour autant être permise lorsque l'on se doute qu'elle n'est pas tout à fait conforme à l'esprit du droit et des lois? Ne nous égarons pas.... C'est une question que les juristes continueront de débattre pour longtemps.

Non, c'est bien l'origine souvent douteuse et frauduleuse des fonds et le contexte des montages financiers plus ou moins opaques, faits pour dissimuler des identités qui pose problème. Les Panama Papers contiennent de véritables pièces à conviction des circuits de corruption et du lien incestueux entre le pouvoir et l'argent. Ils offrent une plongée sur la trace des cadavres, des affaires d'État nauséabondes et des scandales politico-financiers. En France par exemple: les rétro-commissions du Pakistan, la campagne d'Edouard Balladur, l'affaire ELF, le RPR, les époux Balkany, le clan Le Pen, Cahuzac... .

Bref, on savait bien en sommes que la corruption ne se fait pas à coup de gros billets verts sous le matelas. On savait qu'il est question de monnaie scripturale et que cela demande, in fine, un montage, un compte, une banque, une île.


Ce qui est un peu dérangeant c'est l'étendue de cette fraude et sa persévérance malgré les efforts titanesques, nous avait-on pourtant assuré, en vue de lutter contre le blanchiment et la fraude. De déclaration solennelle en G20 pompeux depuis une dizaine d'année, le système n'a jamais été capable, visiblement, d'empêcher un gros fraudeur de frauder ni un bon corrompu de se faire la belle. L'impression générale est celle d'avoir tout juste rendu la vie moins agréable pour le commun des mortels, "l'honnête homme perdu".

Disons que c'est assez loin du résultat escompté et des promesses chantées. Par contre, le coût économique n'est pas négligeable. Car si les montants sont difficiles à estimer, on peut facilement évoquer une bonne centaine de milliards de dollars par an. The Economist qui prend partie contre cette régulation excessive et inefficace ne s'y trompe pas en qualifiant cela de "costly failure" qui crée des entraves à la formation du capital donc sur la croissance, sans parler bien entendu des entorses multiples faites à la vie privée au nom de cette lutte. Et pour un pays comme la Tunisie, classé parmi les pays à haut risque dans le hit parade de l'OCDE en la matière, l'impact de cet arsenal réglementaire, notamment sur les Investissements Directs à l'Étranger longtemps vantés comme clef de voute du décollage, l'impact est... assez énorme.

Au-delà de son inefficacité et de son coût économique, ce fiasco de la gouvernance mondiale met en lumière un paradigme fondamental. Car du point de vue de la sociologie politique, n'est-il pas contradictoire de parler du droit des États à imposer leurs résidents lorsque le concept même de l'Etat-nation, perd de son sens et devient désuet et dépassé et se noie, dans les faits, dans une économie mondialisée, communément et ironiquement nommée aussi "village global"?

Et plus encore, est-il logique de parler toujours de gouvernance mondiale et de "best practice", de responsabilité sociale et de citoyenneté pour les individus lorsque le monde en 2016 ressemble de plus en plus et "jusqu'à nouvel ordre" à un domaine formé de castes: Une classe transnationale de seigneurs faites d'individus à la fortune et à l'influence infinie, d'entreprises gigantesques et de gouvernements compromis. Une caste qui dispose ainsi des leviers réels du pouvoir (argent, violence légitime et justice) face au reste, des gueux pas franchement libres ni qui naissent vraiment égaux en droit.

Le contenu des Panama Papers ne serait au bout du compte qu'un symptôme cutané d'un mal bien plus grave et profond qui ronge l'humanité: L'agonie de l'Etat-nation, Westphalien, pleinement souverain à l'intérieur de ses frontières et son remplacement par une forme nouvelle/ancienne, plus féroce, de gouvernance; une féodalité de fait "packagée" dans une démocratie formelle.

En Tunisie, à la question fiscale, s'ajoute celle, subsidiaire, du régime de change. Un régime dont il faut rappeler la désuétude et l'anachronisme et qui n'est surtout, manifestement respecté par personne car non respectable, invivable et inapproprié.

Dans tous les cas, soyons rassurés. Qu'il s'agisse des infractions fiscales ou relatives au change, et dans la mesure où certains sont plus égaux que d'autres, personne parmi les possédants ne sera inquiété en Tunisie. Ça fera "pshiit".


A t-on jamais vu en effet sur cette terre un gros poisson jugé? Non. Les "Trabelsi" et leurs complices, leurs sous-mains et leurs prête-noms, dans les affaires et les médias et avant eux les Khaznadar, Shemama et Ben Ayed...Tous sont innocents, ont été de bons citoyens puis sont morts riches. Cela a toujours marché ainsi. Ça ne changera pas.

Quant au cas de Mohsen Marzouk, admettons-le franchement: il n'y a pas eu stricto sensu de crime commis; pas plus d'ailleurs, en droit, de tentative de crime. Nous laisserons à la justice le soin de juger de l'affaire et du suspect, tout en espérant que l'affaire ne se transforme pas en une discussion médiatique technico-sophiste, comme on a su si bien le faire avec le football sous ces cieux.

En revanche, Mohsen Marzouk, en tant que personnage public de premier plan et en sa qualité antérieure de chef de campagne d'un candidat à la présidentielle devra donner des explications claires (comme de l'eau de roche) sur ce qu'étaient ses intentions. Car ouvrir un compte au Panama n'est pas, assurément, un acte anodin. Car le timing de sa requête est douteux. Notre question, solennelle, est légitime, claire et simple: Y a t-il eu, oui ou non, de l'argent sale ou en provenance de l'Étranger dans le financement de la campagne de Beji Caid Essebsi.

Un mot enfin concernant le cas de Inkyfada qui ont dores et déjà fait honteusement et irrémédiablement l'exploit de transformer un scoop mondial en un flop. Non on ne présente pas un dossier en premier (celui de Marzouk) quand il n'est pas le plus solide et le plus bétonné.

Non, on ne ferme pas son téléphone devant ses confrères. Non, on ne part pas en voyage au en pareilles circonstances. Non, on ne traite pas ce dossier comme on traite un bien personnel ou une propriété privée. On ne fait pas la rétention d'une information qui relève, désormais, du domaine public car d'utilité publique.

Cette façon piteuse et désastreuse de traiter un dossier-mine d'or, une "once in a lifetime opportunity" pour un journaliste, nous rappelle les démons qui ont toujours guetté ce métier ici: l'amateurisme, la lâcheté, la cupidité, les faux-semblants et la fausse posture. Surtout elle provoque colère et incompréhension. Avec aussi cette question en tête (et c'est là TOUT ce qu'il y a à retenir de ce "voyage" au cœur du Panama, car tout le reste n'est pas nouveau): Pourquoi, diable, Le Monde et The Guardian et même El Pais y arrivent très bien et jamais nous?

Pourquoi?

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