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A l'épreuve de la Corse: "Arabi Fora"

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HISTOIRE - "Arabi Fora" ("Les Arabes dehors"), voici une formule lapidaire que je ne suis pas près d'oublier, trente-trois ans après l'avoir lue pour la première fois. L'entendre, la relire dans les différents supports des médias rembobine ma vie et me resitue en août 1982.

Une telle dénonciation infamante, je la vois encore maladroitement griffonnée sur les murs et les supports matériels de publicité à proximité des grands axes routiers et partout là où elle pouvait avoir un impact sur le plus grand nombre, afin qu'elle s'incruste le plus profondément possible dans l'inconscient de l'Arabe. Pour qu'il se rappelle à tout moment de la journée qu'il n'est pas le bienvenu dans une contrée qui utilise sa force de travail dans le mépris de ses droits les plus élémentaires.

Une déferlante de violence s'était abattue sur les agglomérations de Haute Corse et principalement Bastia. Plastiquage et bâtons de dynamite perturbaient à un rythme quasi régulier la paisibilité précaire dans laquelle vivaient les Marocains de la Corse. Même la représentation officielle ne fut pas épargnée. Décidément, on voulait porter le message au plus haut point de la hiérarchie de la communauté marocaine.

En effet, le consulat du Maroc à Bastia eut sa part de bâtons de dynamite et de dégâts matériels. Pour égayer le drame et rire d'un sort injuste, je me le représentais et affirmais aux collègues, sous forme de boutade d'humour noir, que ce n'était que la marque originale d'un accueil chaleureux et solennel que les Corses me réservaient. N'accueille-t-on pas les officiels de marque par des coups de canon ou de fusils d'honneur? Certes, il n'y a pas la manière mais c'est le geste qui compte. Pour les dégâts et la peur nous les mettions sur le compte de l'accessoire non maîtrisable.

En effet, je venais à peine d'arriver à mon nouveau poste consulaire d'affectation à Bastia. Le Marocain et le Maghrébin en général, en dépit de la précarité alarmante de sa situation dans l'île à l'époque, était devenu par sa seule présence sur le sol corse, un motif sérieux et suffisant de provocation de la haine d'une certaine catégorie de Corses. Malheureusement, les générations qui lui ont succédé et qui se sont francisées par la naissance, la culture et donc l'appartenance à la nation française, le sont toujours comme en témoignent les tristes événements survenus en décembre 2015 dont la cité de l'empereur Napoléon à Ajaccio fut principalement le théâtre.

Il devenait prudent de cacher son arabe à tout faire - depuis l'aube jusqu'à la tombée de la nuit. Le Marocain, me semblait-il, était devenu ce bouc émissaire que l'on charge et sur lequel on se décharge de toute sa haine, sans jamais savoir quelle genre de haine, ni sa nature, ni son motif, ni sa cause. Il était devenu le souffre douleur qui permet de se soulager, d'amortir l'impact d'une pression psychologique née d'une frustration identitaire, d'un manque d'affirmation, d'une blessure narcissique que l'on ne sait pas comment guérir.

Abriter un Maghrébin, lui donner l'hospitalité, l'employer, l'accueillir à quelque titre que ce soit était devenu une source sûre et évidente d'ennuis, de danger de voir sa demeure ou son entreprise plastiquée. Les officiels ne faisaient pas la moindre exception. Tout Maghrébin se devait de se terrer comme un rat.

Alors, je ne sus quoi dire à l'hôtelier qui m'hébergeait quand il m'annonça indirectement de raccourcir mon séjour dans son établissement et en toute franchise, qu'en attendant de quitter son hôtel, de me faire aussi discret que possible et notamment en commençant par éviter de ranger ma voiture dans le parking de l'hôtel au su et au vu de... certains Corses. Elle était reconnaissable à son immatriculation différente et surtout portant la mention "corps consulaire".

Oui, je devais garer ma voiture dans un endroit qui ne permettait pas sa vue, car elle pouvait recevoir une charge explosive, comme le furent les symboles du Maroc, à savoir les bureaux du consulat et ceux de l'agence Royal Air Maroc. Suite à cette atteinte à la souveraineté marocaine, les officiels bastiais s'acquittèrent du rituel de visiter les locaux symboles de l'Etat marocain et s'indignèrent en termes très éloquents et expressifs de leur réprobation et de leur condamnation. Cependant sans que leur volonté se concrétise en actes de réparation de cette injustice.

Jamais les auteurs des attentats ne furent inquiétés d'une manière ou d'une autre. Les autorités marocaines encaissèrent le coup sans demander leur reste. Mais pensaient-elles qu'elles avaient un reste à récupérer? C'est à peine que nous ne faisions pas honte à nous-mêmes d'êtres ce que nous sommes, des Marocains.

Il y a trente-trois ans, la sphère de l'information n'était pas aussi prédominante qu'aujourd'hui et la violence contre un immigré nord-africain ne galvanisait pas les plumes journalistiques pour aller au-delà de quelques lignes dans la rubrique "faits divers". Et pourtant, contrairement à la torpeur qui s'abat habituellement sur les sphères politique et médiatique au cours du mois d'août, créneau par excellence des vacances et de villégiature et donc de détente, en cette année 1982 il fut saillant dans le lot de l'information, par la violence qui s'y était déferlée.

Casser le Maghrébin (l'Arabe) était devenue une façon sacrée de se montrer un Corse pur et dur. Sur le plan social, le Maghrébin - faut-il mieux dire le Marocain étant donné l'écrasante majorité des marocains qui composait la communauté maghrébine de la Corse? - en dehors de son lieu de travail, ne pouvait se montrer en toute liberté comme tout un chacun.

Son parcours le plus court génère son lot d'amertume et de regrets de s'être montré réfractaire à la règle de prudence qui consistait à se montrer le moins possible pour ne pas provoquer l'ire de certains Corses. La preuve de ce que j'avance, je l'avais sentie dans ma propre chair.

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