Quantcast
Channel: Maghreb
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

Le présent reprend-t-il le passé? Janvier, le mois de la colère

$
0
0
Tout est parti le samedi 16 janvier 2016 à Kasserine, ville des hautes steppes tunisiennes.

Ridha Yahyaoui, un jeune chômeur de 28 ans, est mort devant le siège du gouvernorat. Il a été électrocuté après être monté sur un poteau alors qu'il protestait avec d'autres contre son retrait d'une liste d'embauches dans la fonction publique. Ce drame et les violences qui ont suivi ont un air de déjà-vu.

De Bouazizi à Yahyaoui, les motifs et la manière se répètent. Cinq ans après la chute de la dictature, l'exclusion sociale et les disparités régionales persistent encore, dans un contexte de profonde morosité économique.

Des centaines de personnes sont de nouveau descendues dans les rues pour réclamer des solutions au chômage.Très vite, les mouvements de protestation sont repris et le gouvernement de Habib Essid se trouvait devant l'obligation de décréter un couvre-feu dans l'ensemble du pays.

Ainsi, ces derniers événements reprennent une tradition très ancienne qui a fait de janvier un mois de la colère.

A) Le jeudi noir du 26 janvier 1978

La grève générale lancée par la centrale syndicale UGTT (Union générale tunisienne de travail), la première depuis l'indépendance du pays en 1956, et la sanglante répression qui s'en est suivie constituent probablement un tournant dans l'histoire sociale et politique de la Tunisie contemporaine et dans les rapports entre le pouvoir et le mouvement syndical.

Néanmoins on ne peut comprendre ces évènements indépendamment du contexte dans lequel ils se sont produits et en particulier les mouvements sociaux et politiques qui ont marqués la période qui a précédé l'année 1977 qui a pris fin le 26 janvier 1978 avec ce qu'il est convenu depuis d'appeler le "Jeudi Noir".

En effet, depuis la fin de 1976, le pays était en crise permanente. Bourguiba vieillit. Il reste lorsque sa santé est satisfaisante l'arbitre de tous les conflits ; mais il s'est éloigné de la gestion directe des affaires. Il n'y avait plus en Tunisie une orientation politique unique, fixée par le président, à laquelle tous les ministres et dirigeants se soumettent.

De leur côté, les syndicats s'éloignaient de plus en plus du gouvernement, et le Premier ministre, Hédi Nouira, s'en inquiétait. Allait-il laisser se développer une force qui regroupait tous les salariés et qui lui était hostile?

Voyant s'accroître une forte agitation sociale et estudiantine, le pouvoir s'efforça de tempérer ces tensions, en concluant avec ses partenaires sociaux un pacte social le 19 janvier 1977. Ce document, non signé, mais rendu public à l'occasion d'une "réunion solennelle", présidée par le Premier ministre intervenait en conclusion des travaux de la Commission nationale des Salaires amorcés en décembre 1977. Il fondait la préservation de la paix sociale, dans la perspective de la réalisation des objectifs du Vème Plan, sur le principe d'une évolution des salaires en fonction des prix, de la production et de la productivité.

Cet accord a correspondu à une tentative d'assainissement d'un climat social fortement perturbé en 1976 par une série de grèves et de revendications. Or, le pacte était loin d'apaiser la contestation ouvrière et avait au contraire, provoqué des mouvements revendicatifs des cheminots et des mineurs en décembre 1977.

À la brusque accélération des événements, la rupture entre le pouvoir et la centrale syndicale se manifestait le 10 janvier 1978 par la démission de Habib Achour, secrétaire général de l'UGTT, du bureau politique du PSD (Parti Socialiste Destourien). Quelques jours après, le jeudi 26 janvier 1978, une grève générale d'avertissement de 24 heures avait été déclenchée malgré les menaces du pouvoir.

Pendant quelques heures d'affrontement, la Tunisie a vu couler tant de sang que dans les années de "kifah". On dénombre plus de 400 morts, 800 blessées et un peu plus de 1000 arrestations.

Les dirigeants de l'UGTT étaient arrêtés et la répression s'élargissait chez une grande partie de la population.

B) 26-27 janvier 1980, les événements de Gafsa

Les événements de janvier 1978 qui eurent pour théâtre Tunis ont démontré l'échec du plan économique du gouvernement.

Néanmoins, le régime n'a pas reculé, mais, s'est même renforcé, vers plus d'autoritarisme. Juste deux ans après ces affrontements sanguinaires, la Tunisie a été de nouveau secouée par une violente attaque au sud-ouest du pays, et plus précisément dans la ville de Gafsa, organisée par un commando armé composé de jeunes tunisiens, financé par la Libye de Kadhafi.

Durant plus de vingt-quatre heures, ce commando était le maître de la ville, il contrôlait la plus part des postes de sécurité. L'armée brusquée déclenchait une violente contre-offensive avec l'assistance d'hélicoptères et d'avions de chasse pour reprendre la ville pilonnée.

Cette dernière sera le théâtre d'un combat acharné: Il faudra plus de cinq jours pour reprendre la ville.

Plusieurs membres du commando furent dispersés dans les oasis et les collines environnantes. Elles sont ratissées alors que les journalistes dépêchés en Tunisie signalent l'existence de poches de résistance.

Après ces événements, le pouvoir était obligé de restaurer "partiellement" le pluralisme politique, avec la levée de l'interdiction frappant le Parti communiste tunisien (PCT) ce qui suscita des espoirs, vite déçus.

En novembre 1981, le pouvoir falsifia les résultats des élections législatives auxquelles avaient pris part le PSD, le PCT et deux nouvelles formations non encore légalisées tel que le Mouvement des démocrates socialistes (MDS) et le futur Parti de l'unité populaire (PUP).

La même année, les dirigeants islamistes, qui avaient su tirer avantage des petits espaces de liberté, furent emprisonnés.

C) Les émeutes du pain de janvier 1984

Six ans après la grève générale à Tunis, et quatre ans après les événements de Gafsa, ce fut cette fois toute la Tunisie,toute entière, qui fut prise dans l'incendie.

L'émeute a été déclenchée par la hausse du prix du pain et des pâtes, qui constituent la nourriture de base d'une énorme partie de la population.

Cette hausse avait été prévue et discutée depuis plus d'un an, elle avait été annoncée depuis des mois. Le 13 octobre 1983 le ministre de l'Économie Abdelaziz Lasram démissionnait de son poste parce qu'il n'était pas d'accord avec l'ampleur de la hausse, craignant probablement les retours de bâton. Dès le 30 décembre, quelques jours avant l'annonce officielle de l'augmentation, les troubles ont commencé.

Dans un premier temps l'émeute a touché la moitié sud du pays puis elle s'est étendue dans le nord. Ainsi toutes les couches de la population ont été touchées. Dans tout le pays ce sont les jeunes, lycéens, étudiants et surtout chômeurs qui ont été au centre des émeutes.

Au début, l'émeute a été ouvertement politique puis elle a pris la forme d'une révolte contre tout ce qui est "richesses". Les voitures ont été brûlées, les magasins pillés, les autobus détruits, tout ce qui appartenait à l'État, y compris des dépôts de machines et des panneaux de signalisation ont été saccagés.

La presse et le pouvoir ont bien sûr parlé de vandalisme et montré les images des dégâts à la télévision. En fait, il s'agit d'une lutte des classes pauvres non seulement contre le régime et tout ce qui, de près ou de loin, le symbolise, mais aussi contre les classes riches. Les émeutiers sont essentiellement des jeunes et des paysans pauvres, des travailleurs saisonniers ou des chômeurs.
Ils sont appuyés par les étudiants qui déclenchent une grève de solidarité.

Les policiers sont débordés et le président Habib Bourguiba proclame l'état d'urgence. L'armée intervient avec des blindés et rétablit l'ordre le 5 janvier. Le bilan: Plus de 150 morts et des centaines de blessés.

Le lendemain, Bourguiba annonce l'annulation de la hausse du prix du pain et de la farine. Mais l'image d'une Tunisie stable est ébranlée. Une semaine plus tard, le président renvoie le ministre de l'Intérieur, Driss Guiga, blâmé pour sa gestion des troubles.

Cette crise met d'ailleurs en évidence la lutte pour le pouvoir entre ce dernier et le premier ministre Mohamed Mzali, successeur pressenti du Leader Bourguiba. Mzali sera pour sa part renvoyé à l'été 1986 et remplacé par Ben Ali.

D) Janvier 2008, la "révolte" du bassin minier de Gafsa

Tout commence le 5 janvier 2008. Ce jour-là, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) publie les résultats d'un concours d'embauche initié quelques jours plus tôt. L'enjeu est important pour les habitants de Gafsa, durement frappée par le chômage, puisque les sélectionnés obtiendront un poste au sein de la compagnie, premier employeur de la région.

Depuis le début de l'année 2008, la population de ce bastion ouvrier, souvent rebelle par le passé, se construit ainsi sa propre histoire dans une révolte soudée, rageuse et fière. Elle affronte sans faillir une stratégie gouvernementale faite d'encerclement et de harcèlements policiers d'un côté, de contrôle des médias de l'autre.

Des campements ont été ainsi dressés devant les lavoirs de minerais ou le long des voies de chemins de fer pour empêcher les trains transportant le phosphate de circuler, tandis que certains lycéens et jeunes chômeurs entreprenaient également d'arracher des centaines de mètres de voies de chemin de fer entre M'dhila et Moularès pour bloquer les principaux axes de circulation des villes en dressant des barrières de pneus enflammés.

Pendant toute la durée des mouvements, les phases de montée en tension ont été entrecoupées de pauses, elles-mêmes résultat d'un progrès apparent dans les négociations entre certains porteurs des mobilisations et les autorités. Les revendications des différents acteurs de la protestation tournaient autour de la lutte contre le chômage et la précarité.

Dans une telle configuration, ce sont les diplômés chômeurs qui ont été les principaux entrepreneurs des mobilisations dans les différentes villes du bassin minier. Au regard des épisodes du conflit du bassin minier, les diplômés de la région ont très certainement contribué à la prolongation des mobilisations. Ils les ont partiellement encadrées avec l'aide de certains leaders syndicaux de Redeyef qui ont créé un comité de négociation visant à formaliser et à légitimer les diverses revendications.

La répression du régime de Ben Ali, le président tunisien aujourd'hui en fuite et réfugié en Arabie saoudite, était sans merci.

Les dirigeants de la révolte menée étaient jetés en prison. Ils avaient pour nom Adnan Hajji, Bechir Labidi, Taieb Ben Othman et beaucoup d'autres. Les femmes observaient des grèves de la faim pour leur libération. Un combat mené sur le front social, politique et économique, qui s'est heurté au pouvoir de l'époque mais qui a été le véritable précurseur de la révolte qui a gagné le pays en décembre 2010, après l'immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid.

En ce mois de janvier 2008, donc, dans ce bassin minier, les mots de «"dignité ", de " justice sociale ", éclataient comme des fleurs de printemps.

L'opposition à Ben Ali, le " Dégage ! " étaient déjà sur toutes les lèvres.

E) Janvier 2011 ou la "révolution du jasmin"

Le bassin minier au sud du pays, en lutte depuis 2008, a ouvert la voie au soulèvement qui a débouché sur la fuite de l'ex-dictateur Ben Ali deux ans plus tard.

Les protestations contre le chômage, le népotisme et le pouvoir absolu se sont transformés en protestations politiques, contre le régime de Ben-Ali à partir du début janvier 2011.

Le régime a essayé d'étouffer ces révoltes en mettant sur écoute les téléphones, en lisant sur internet les blogs des protestants et en essayant de bloquer les sites internet. Mais il n'a pas réussit. Facebook a été le moyen de communication préféré des protestants, ils ont codé leurs messages, ils ont partagé des vidéos et échangé des informations sur les protestations. Donc la révolution en Tunisie était une révolution de la jeunesse tunisienne.

L'élément déclencheur des contestations était les prix des aliments beaucoup trop élevés, les taux de chômage élevés, le manque d'investissements et les perspectives médiocres pour la jeunesse dans la région. La jeune génération est relativement bien développée, pourtant les chances d'obtenir un emploi convenable sont faibles. Le régime lui-même, qui contrôlait les médias avec un système de censure complet, présentait sa façon de gouverner le pays comme une grande réussite économique.

Le pays qui semblait relativement calme était sous les mains du clan des Trabelsi, famille de l'épouse de Ben Ali, qui dominait la vie économique et le monde des affaires. En plus, la famille est considérée kleptocrate.

En 2009, Ben Ali a prolongé son mandat (par une majorité de 89 %) pour une nouvelle période de cinq ans. Son exercice du pouvoir était basé sur son parti RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), qui était considéré par une partie des tunisiens comme parti-État.

Ainsi, la période de décembre 2011 peut être considérée comme un moment de crise politique qui a touchée le système du parti-état. Un ensemble de secteurs est alors affecté par la mobilisation qui a touché l'université tunisienne, les avocats et les magistrats. L'UGTT, bastion du militantisme, a appelé ses adhérents à une grève générale de deux heures vendredi 14 janvier 2011.

Dans les rues de la capitale l'expression française "dégage" a été choisie par les tunisiens comme étendard de leur rassemblement devant le ministère de l'Intérieur, juste quelques heures avant la fuite de Ben Ali vers la terre des "deux saintes mosquées".

L'Histoire retiendra cette date comme le jour de la naissance d'un grand rêve qui reste encore inachevé.

Retrouvez les articles du HuffPost Tunisie sur notre page Facebook.

-- This feed and its contents are the property of The Huffington Post, and use is subject to our terms. It may be used for personal consumption, but may not be distributed on a website.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 4626

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>