Le concours d'accès aux écoles d'ingénieurs est le couronnement de deux -voire trois- années préparatoires passées par les étudiants sur les bancs des classes préparatoires à ingurgiter des masses de connaissances en sciences dures. Deux années passées à travailler dur pour la plupart et au cours desquelles ils mettent de côté toute vie sociale ; deux années au cours desquelles les souffrances physiques d'un travail acharné alternent aux souffrances morales dues à la pression parfois inhumaine mise sur leurs épaules.
Nous sommes aujourd'hui à l'aube de la vingtième session de ce concours, ce qui pourrait laisser présager d'une certaine institutionnalisation. Sauf que ce n'est pas le cas et on retrouve chaque année cette impression de tâtonnement qu'on aurait pu tolérer les premières années mais qui devient de plus en plus inacceptable. Tâtonnements au niveau de la gestion administrative, au niveau du contenu des épreuves ou même au niveau des barèmes!
Il est justement question de l'histoire d'un barème qui aurait pu être tout à fait banale, mais qui, par le fait de quelques unes de ses conséquences potentiellement dramatiques, se devait d'être exposée sur la place publique. En l'occurrence, nous parlons ici du barème des épreuves de mathématiques. Ou comment on découvre que pour masquer les tares de plus en plus flagrantes d'un modèle brinquebalant et dont les composantes (Formation, programmes, étudiants, enseignants,...) sont de plus en plus désarticulées, une certaine bureaucratie s'essaie à réinventer la roue contre tout bon sens et en prenant le risque de fausser le classement final.
Certains pourraient penser que c'est une affaire purement technique. Une analyse sérieuse des faits montrera le contraire : C'est une question éminemment institutionnelle que quelques responsables d'un rouage aussi important de la formation d'ingénieurs puissent faire preuve d'un tel manque de discernement et d'une telle désinvolture dans la gestion de ses affaires et qu'aucun acteur institutionnel n'ait intervenu pour corriger le tir. Les hauts responsables du concours pourront arguer qu'ils "ne savaient pas" ; ils oublient qu'un responsable se doit de mettre en œuvre les mécanismes institutionnels qui feront qu'il puisse être en mesure de "savoir".
1- Les faits:
Depuis le concours de l'année 2013 (au moins), une nouvelle méthode pour construire le barème des épreuves de mathématiques a été impulsée par les responsables desdites épreuves: Sur-noter les questions abordables et sous-noter les autres dans l'objectif déclaré d'avoir de meilleures notes.
À titre d'exemple, la méthode employée dans l'épreuve d'Analyse du concours Maths-Physiques (MP) de la session 2015 était la suivante: Prendre un échantillon des copies des candidats au concours d'une épreuve donnée (Disons Mathématiques - MP) puis établir des statistiques sur le pourcentage des étudiants ayant abordé chacune des questions de l'épreuve -indépendamment du fait qu'elles aient été bien résolues ou pas. Enfin, les questions qui ont été plus abordées que les autres seront notées sur trois (3) points, les autres sur deux (2) points.
2- inconvénients d'une telle méthode:
a- Une méthode scientifiquement non pertinente.
La méthode ainsi utilisée est plus proche d'une distribution aléatoire des points que d'une méthode ayant de vrais fondements scientifiques. Les questions les plus abordées n'étant pas forcément les mieux traitées, on se trouve avec un barème où la pondération des questions se fait d'une manière quasi-aléatoire[2].
En outre, une telle méthode défie le procédé classique qui fait qu'on attribue -a priori- à chaque question de l'épreuve une note qui est proportionnelle à sa difficulté. D'autres procédés, scientifiquement fondés, existent et où la difficulté est jugée a posteriori et le barème construit en conséquence. Mais ce pur produit de l'intelligence nationale n'a pas encore été répertorié.
b- Une méthode inique.
Les bons candidats sont désavantagés: Un sujet de concours étant le test ultime pour les candidats. Ils sont testés sur leur capacité à maîtriser les notions enseignées durant les deux années de préparation ; des notions qui vont des plus simples (Établir de simples inégalités) à d'autres plus ardues (Transformer une intégrale en une série en se ramenant sous les hypothèses du "bon" théorème à appliquer).
En pratique, avec une telle méthode, il est plus "rentable", dans l'optique d'une bonne note, de résoudre une question facile à la portée de la majorité des candidats que de passer du temps et faire l'effort de résoudre une question plus difficile et qui est supposée contribuer à faire la sélection. Ceci peut donner lieu (et a donné lieu![3]) à des anomalies dans le résultat des épreuves de mathématiques et donc du concours.
Bien entendu, les meilleurs et les plus faibles ne seront pas affectés par cette méthode: Les premiers n'auront pas de scrupules à résoudre toutes les questions faciles ; les seconds peineront à établir de simples inégalités. Les injustices qui peuvent avoir lieu concernent le spectre des candidats allant des "tout juste inférieurs à la moyenne" jusqu'aux "tout juste supérieurs à la moyenne", soit un bon millier de personnes: Dans cette partie du classement, quelques dixièmes de points perdus relativement aux autres peuvent bien coûter une centaine de places!
c- Une méthode qui pose un problème éthique.
Un sujet de concours qui se respecte est une épreuve portant sur un thème bien précis et se proposant de résoudre une certaine problématique tout en essayant d'aborder un nombre important des notions enseignées durant les deux années de préparation.
Par cette méthode d'attribution des notes, on désavantage les étudiants ayant fourni un véritable effort de compréhension de la problématique de l'épreuve et on avantage celui qui passe du coq à l'âne, cherchant surtout et avant tout les points faciles.
On favorise donc le grappillage de points en lieu et place d'une analyse et d'une résolution sérieuses du problème et des questions posés.
3- Pourquoi une telle méthode? Petit aperçu historique: Les notes d'algèbre provoquent un tournant.
Le concours 2011 a été le théâtre d'un véritable cataclysme au niveau du concours d'algèbre de la section MP. La moyenne[4] des notes n'a pas dépassé 2/20. Bien que les mauvaises notes étaient chose courante dans les épreuves d'algèbre des différents concours, cette année-là était exceptionnelle.
Ainsi, vu que plus des neuf dixièmes des étudiants avaient une note inférieure à 3/20, ceci ne permettait pas aux plus brillants de creuser des écarts conséquents et le coefficient réel[5] de la matière s'en trouvait donc fortement amoindri. En clair, pour les meilleurs en algèbre, les efforts effectués tout le long de l'année ont été vains -ou presque-.
Le besoin s'est donc fait sentir d'avoir "de meilleures notes"[6] et de rétablir des écarts conséquents reflétant la différence de niveau entre les candidats. Cette volonté s'est par la suite transformée, de par l'imagination débordante desdits responsables, en une pratique qui consiste à gonfler artificiellement les notes. Celles-ci ont bien été meilleures, des écarts ont été rétablis, mais ceux-ci et celles-là ne veulent plus dire grand chose.
Dans la droite lignée de la bureaucratie nationale, on a donc opté pour une pratique d'amélioration des indicateurs (de bonnes notes et des écarts conséquents) au lieu d'une vraie politique de réalisation des objectifs (des notes qui reflètent le niveau relatif des étudiants et les écarts entre eux).
Ce qui transparait donc par ce simple exposé des faits est le dilettantisme qui caractérise la gestion de certaines affaires du concours. Chaque responsable de matière peut donc agir comme s'il était à la tête d'un département totalement indépendant du concours, ayant les pleins pouvoirs et n'ayant pas à rendre de comptes.
On verra dans les parties suivantes, qu'il suffisait de s'y connaitre (un peu) en mathématiques, d'avoir le réflexe du vrai responsable qui recherche les causes du mal et/ou d'avoir l'humilité d'écouter les remarques des enseignants correcteurs et même de certains des rédacteurs des épreuves pour trouver une solution sinon juste, du moins acceptable...
Cette contribution fait partie d'une série de contributions de l'auteur. La deuxième et la troisième partie seront publiées prochainement.
Notes :
[1] Avant de commencer, un petit avertissement à l'adresse du lecteur s'impose: Pour une lecture aisée de ce qui suit, il est conseillé de s'aider de cet article -plus académique- de l'APHEC (Association des Professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) pour pouvoir mieux cerner la thématique traitée ici: Notation et coefficients. On y traite de l'effet des propriétés statistiques (Essentiellement l'écart-type) des notes des candidats à un concours dans une épreuve donnée sur le classement final de ceux-ci dans le concours.
[2] On pourra longuement ergoter sur la pertinence de la méthode du tirage au sort pour la désignation des représentants du peuple dans la dite "démocratie athénienne" ; sauf que, dans le cas présent, le classement doit se faire -théoriquement- sur la base de la maîtrise d'un certain nombre de compétences et de la capacité à résoudre un certain type de problèmes.
[3] Constat personnel établi sur la base des classements des deux dernières sessions ; Les anomalies -id este les candidats ayant obtenu un classement inattendu relativement à leurs collègues d'une même classe- ont été plus fréquentes que les années précédentes.
[4] Une des grandes faiblesses du concours tunisien est le manque de statistiques concernant les notes et les moyennes des candidats. Les chiffres présentés sont donc des estimations "à la louche" faites sur la base des observations effectuées et des discussions avec les collègues correcteurs lors la période de correction.
[5] Les considérations relatives aux coefficients théorique et réel d'une matière sont bien expliquées dans l'article mentionné dans la première note de l'article: Notation et coefficients.
[6] Littéralement.
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