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Tsipras a bien manœuvré pour résoudre la crise grecque

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Le responsable de la crise grecque n'est ni la corruption de l'administration grecque ni les salaires et retraites des Grecs. C'est le libre-échangisme dogmatique, c'est-à-dire la conviction que le libre-échangisme marche toujours, indépendamment des conditions économiques objectives et de la conjoncture. Le gouvernement grec aura beau mettre en prison des supposés corrompus ou tailler dans les salaires ou retraites des Grecs, la Grèce ne fera que s'enfoncer d'avantage si elle s'en tient à ces mesures.

Selon les circonstances, le libre-échangisme peut marcher comme il peut ne pas marcher. Il n'y a aucune théorie économique qui en fait un principe permanent. Dans les circonstances où il ne marche pas, il s'en suit un déséquilibre des échanges extérieurs donc une dette dont le coût de financement devient rapidement énorme.


Je signale au passage que ce coût a dépassé 6% du PIB annuellement, tant pour la Grèce que pour la Tunisie. Par conséquent, ceux qui disent "attention on va devenir comme la Grèce" doivent savoir que nous sommes à peu près au même niveau pour ce qui est du poids de l'endettement extérieur relativement au PIB. Mais la crise grecque est plus amplifiée pour des raisons d'enjeux politiques entre l'Occident et la Russie. En fait, l'Occident essaye d'utiliser la crise grecque pour obtenir l'alignement de la Grèce contre la Russie.

Parmi les facteurs qui influent sur le succès ou non du libre-échangisme: la taille du pays qui joue sur ses coûts de production, sa capacité d'épargne, la mobilité de la main d'oeuvre, son positionnement sectoriel, son taux d'exposition aux aléas de la conjoncture mondiale (marchés financiers, pétroliers, agricoles...). Vous constaterez que pour ces facteurs, il y a une certaine ressemblance entre la Tunisie et la Grèce. Je vous laisse en tirer la conclusion quant aux chances actuelles de succès du libre-échangisme dogmatique en Tunisie.

Vous constaterez aussi que certains de ces facteurs ne relèvent pas de la responsabilité directe de la population actuelle, mais de données structurelles liées à l'histoire ou la géographie du pays considéré, comme la capacité d'épargne qui dépend en partie de la structure démographique du pays. Ou alors, ces facteurs peuvent dépendre de données mondiales, comme le prix du pétrole.

Pour opérer les ajustements nécessaires quand les circonstances deviennent défavorables, les pays bien gérés ont recours à des outils de contrôle et de réglage macro-économique comme le taux de change de la monnaie nationale, les tarifs douaniers et les quotas à l'importation ou la politique du budget de l'Etat.


L'UE ou les USA ont régulièrement recours à ces outils. Vous savez certainement par exemple que l'UE impose des quotas pour les produits agricoles tunisiens, ou des tarifs douaniers élevés pour les plaques solaires chinoises, ou que les USA imposent tacitement des restrictions aux voitures japonaises ect.

De même, ces entités modulent le taux de change de leurs monnaies selon la situation de leur commerce extérieur, en tenant compte des tendances du marché mondial bien sûr. Par exemple: la politique du dollar faible aux USA depuis les années 90 pour freiner leur déficit commercial.

Enfin, il y a la politique du budget de l'Etat qui est capable, en cas de grosse difficulté, d'orienter le marché vers la consommation des produits des entreprises du pays et de subventionner momentanément les plus menacées d'entre elles. C'était la base de la politique de relance d'Obama en 2009 (loi "recovery act" instituant la priorité aux produits locaux et renflouements des banques en difficulté et de certaines industries comme GM). La réduction du déficit extérieur des USA depuis 2009 témoigne de la réussite de cette politique.

Le problème de la Grèce est que, par son adhésion à l'UE, elle s'est privée de ces deux outils de contrôle et régulation: taux de change et tarifs douaniers.


En effet, d'une part elle ne peut dévaluer l'Euro puisque celui-ci est géré par la Banque Centrale Européenne. D'autre part, elle ne peut adopter des tarifs douaniers ou des quotas d'une manière isolée puisque les tarifs douaniers des pays membres de l'UE sont décidés par Bruxelles. Le problème est qu'en contrepartie de son adhésion, les transferts budgétaires de l'UE vers la Grèce, qui auraient pu se substituer à ces deux outils, sont restés timides.

En vérité, l'UE n'a jamais voulu devenir une vraie nation, avec monnaie unique mais aussi budget public unique. C'est là le talon d'Achille de l'UE.

Ainsi, la Grèce se trouve actuellement complètement désarmée pour remettre son économie à flot. De plus la conjoncture diplomatique mondiale (nouvelle guerre froide) fait que l'UE se montre réticente à assurer les transferts appropriés. La Grèce se trouve piégée par le libre-échangisme dogmatique.

Dans ce contexte, je crois que le gouvernement Tsipras a bien manœuvré. Il fallait rompre avec le cercle vicieux de l'austérité sensée permettre de payer les créanciers alors qu'elle n'a fait qu'alourdir l'addition. Si l'UE n'a pas cherché à rompre ce cercle vicieux, c'est plus pour des raisons politiques, je crois, que parce qu'elle y voit une manière de réformer l'économie grecque.

Le risque de Tsipras est la rupture du financement de l'UE et la sortie de la Grèce de l'UE, mais je n'y crois pas. L'UE a trop à perdre dans la sortie de la Grèce. La solidité de la construction européenne serait remise en cause pour d'autres pays défaillants de l'UE. Ce serait une erreur.

C'est pour cela que je crois que Tsipras a bien manœuvré en refusant la précipitation et l'ultimatum si proche (quand même un peu déshonorant), et en soumettant les réformes douloureuses à un référendum.


Ce faisant, il permet au peuple grec d'être plus responsable et conscient des enjeux: payer la facture ou sortir de l'Europe, et de cesser de revendiquer le beurre (rester en Europe) et l'argent du beurre (ne pas payer la dette). Et il force l'Europe à envisager un traitement plus sérieux des séquelles du libre-échangisme dogmatique.

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