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Street art: Du mur à l'écran

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Si vous avez décidé d'avaler un hamburger dans le Bronx à New York le 16 octobre dernier vous êtes peut-être tombés sur une installation grandeur nature d'un Ronald chez Mc Donald, dominant un jeune-homme prosterné, occupé à cirer ses chaussures disproportionnées. Amusé, vous l'avez surement pris en photo avec votre smartphone, partagé le cliché sur Instagram avec le filtre X Pro II avant de le publier sur votre Tumblr dédié au streetart (et à tout le reste) avec les hashtags #Banksy #masterpiece #betteroutthanin.

En fait, sans le savoir, vous avez participé à l'inscription de cette œuvre dans le patrimoine culturel mondial virtuel dont Pinterest, Flickr ou encore Twitter sont les succursales. Inconsciemment, vous avez renforcé sa légitimité en tant qu'objet de valeur. Rien que ça.

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Crédit Photo: Better out than In


Si le street art est devenu une attraction touristique de masse - en témoignent les six heures d'attente minimum pour pénétrer dans la Tour 13 - et attire de nombreux curieux, il n'en reste pas moins un art éphémère, anonyme, difficilement saisissable, illégal dans la grande majorité des cas. Internet et les réseaux sociaux se révèlent alors comme de fabuleux moyens d'archivage, de conservation et de vulgarisation de ces œuvres.

D'ailleurs, le site institutionnel de la Tour 13 propose une expérience digitale à 360° façon jeux vidéo pour se promener virtuellement dans les œuvres tout en permettant aux spectateurs sur place d'interagir directement par un système de tags sur Twitter ou Instagram: une manière de pérenniser ce qui est voué à la destruction.

Comme les badauds à la fin du XIXème siècle qui, atteints "d'affichomanie", subtilisaient les affiches illustrées placardées dans les rues de la capitale pour les accrocher dans leurs intérieurs, le Iphotographe lambda du XXIème siècle s'empare du graffiti, lui octroie une seconde vie et quitte le rôle du spectateur passif.

Cependant, quand le street art côtoie de plus en plus les murs des galeries branchées et se vend à prix d'or, la plupart des artistes agissent encore à visage cagoulé. Robin des bois volait les riches pour donner aux pauvres. Suivant une philosophie parallèle, ces artistes quasi-délinquants arrachent une fraction d'immobilier au capitalisme pour la rendre à l'esthétique. Ils laissent leurs œuvres vivre dans l'espace public sous le regard des passants. A nous alors d'en déchiffrer le sens, d'en admirer la beauté, de crier au scandale ou de passer une couche de marqueur dessus (pour les plus téméraires).

Banksy, toujours lui, proposait lors de son événement Better Out Than In d'appeler un numéro pour écouter un audio guide d'accompagnement. Derrière ce geste, l'ironie bien sûr, mais aussi peut-être la volonté de ne pas voir son œuvre et sa signification se perdre dans les méandres du web et des réseaux sociaux.

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Jules Chéret, Affiche pour la Fête des Fleurs de Bagnères-de-Luchon (1980).

Dans Les maîtres de l'affiche: publication mensuelle contenant la reproduction des plus belles affiches illustrées des grands artistes, français et étrangers, éditée par L'Imprimerie Chaix (1896-1900).


Peut-être que le street art subira le même destin que l'affiche. Les belles images publicitaires que Jules Chéret créait dans les années 1880 sont entrées au Musée, témoin d'un art et d'un goût populaire. Et plus tard, dans le Paris de la guerre d'Algérie, le peintre Jacques Villeglé arrachait des fractions d'affiche sur les murs pour réaliser des montages, des collages, et finalement les sacraliser. Les œuvres de rue de notre époque sont-elles aussi issues d'un art populaire, celui du graffiti. Elles sont devenues un genre à part entière de la culture d'élite.

Comme il est difficile de porter les chef d'œuvre au musée, il y aura peut-être dans nos villes du futur des cordons de sécurité et une milice, bombe de peinture au poing, protégeant des fresques urbaines monumentales, d'éventuelles attaques ou d'un public trop désireux de les approcher. Tandis que nous irons chez Ikea acheter un lot de mugs estampillés Shepard Fairey, JR ou Space Invader, comme autant de réplique warholienne d'une contre-culture d'un autre temps.

La fièvre numérique actuelle permet au fond à cet art populaire de garder un lien avec ses origines vulgaires. Elle donne à son tour lieu à création d'un genre qui, à défaut les sacraliser, fait des fresques l'enjeu d'une passion.

Pour aller plus loin:

Faites le mur!, un documentaire de Banksy (2010)

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